« Mallé en son exil », de Denis Gheerbrant : Alters égaux

Dans Mallé en son exil, Denis Gheerbrant filme un travailleur immigré malien sur le mode de la rencontre amicale et critique.

Christophe Kantcheff  • 15 janvier 2019 abonné·es
« Mallé en son exil », de Denis Gheerbrant : Alters égaux
© photo : les films d’ici

Il fait partie de cette communauté du petit matin, ces hommes et ces femmes qui se lèvent en pleine nuit pour aller faire le ménage dans les entreprises ou laver les trottoirs de nos cités. Il s’appelle Mallé Doucara, il est malien et est venu travailler en France il y a plus de vingt ans.

Le film précédent de Denis Gheerbrant, On a grèvé (2014), racontait la lutte de femmes de chambre d’un hôtel Campanile pour la revalorisation de leur travail. Mallé en son exil n’est pas un film social. Il y est bien sûr question de la façon dont Mallé vit en France, de ses très modestes revenus et des tâches qu’il accomplit – ceci passant essentiellement par l’image, où on le voit sortant et rentrant des poubelles, passant l’aspirateur, briquant une vitre… Mais Mallé en son exil est bien plus que cela. C’est l’appréhension d’un être dans toute son intégrité, toutes ses identités : ce qu’il est en France, ce qu’il est au Mali, où il a femme et enfants, sans vision réductrice. Partagé entre ces deux pays, Mallé fait penser au personnage d’Amin, le dernier film de Philippe Faucon. Mais ici on entre davantage dans l’être malien de Mallé. Le film est traversé de part en part par la présence de son pays. Qu’il s’agisse des amis de Mallé dans son foyer, de la musique qu’il écoute sur son téléphone portable, des images de la télévision dans sa chambre, qui viennent d’une chaîne de là-bas.

Et bien sûr il y a Mallé lui-même, ce qu’il raconte du Mali et de sa propre histoire. Tout en dénonçant la corruption qui y règne et un système bénéficiant aux plus riches, Mallé est un traditionaliste. Par exemple, s’il se conçoit comme un « esclave moderne » en France, il a hérité, en tant que descendant d’une branche noble, d’une famille d’esclaves chez lui, ce qu’il ne remet pas en cause. De même qu’il accepte la polygamie et l’excision. Mais exposer ainsi ses propos ne rend pas grâce au film.

Car Mallé en son exil est avant tout fondé sur un dialogue. Ce que filme Denis Gheerbrant n’est pas seulement un homme qui vient d’ailleurs, une altérité, mais ce qu’ils produisent l’un et l’autre, fondé sur un lien de confiance et une amitié dont la première caractéristique est d’être non complaisante. Le documentariste n’enregistre pas les dires de Mallé de façon neutre. Il est au contraire très présent dans son film – le fait qu’on le voit un instant avec sa caméra se reflétant dans un miroir est plus qu’un clin d’œil. Ainsi, il répond pied à pied, mais avec douceur, aux idées de Mallé, qu’il filme dans un décor presque bucolique, dans un parc près d’un plan d’eau.

Pas de relativisme, donc, ni d’abandon d’une position universaliste – « nous sommes traversés par le même sang », glisse le cinéaste. Mais une rencontre qui ne biaise pas. L’enjeu est de se connaître, pas de se confondre ni de se juger. Il s’agit de construire un espace de compréhension critique, une « éthique de la discussion », aurait dit le philosophe Jürgen Habermas. Voilà qui place haut l’ambition du cinéma de Denis Gheerbrant, dont le travail devrait être davantage salué.

Mallé en son exil, Denis Gheerbrant, 1 h 46.

Cinéma
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