Good gendarmes, bad cops

Les militaires n’ont tiré « que » 1 065 balles de défense, et ça, ça interroge Le Monde.

Sébastien Fontenelle  • 13 février 2019 abonné·es
Good gendarmes, bad cops
© crédit photo : ARNAUD FINISTRE / Hans Lucas

L’on avait appris, le 30 janvier, que les forces de l’ordre (FDO) – gendarmes et policiers – avaient procédé, pour la répression des manifestations qui, tous les samedis, ponctuent depuis le 17 novembre 2018 le quinquennat de M. Macron, à 9 228 tirs de lanceur de balle de défense (LBD). Soit, tout de même, si l’on établit une moyenne : 769 tirs par week-end.

Revenant la semaine dernière, et dans un long article, sur cette statistique, Le Monde s’est d’abord appliqué à donner de l’écho à la communication de la gendarmerie, qui venait de tambouriner qu’elle n’avait, quant à elle, « effectué » qu’un tout petit neuvième de ces 9 228 tirs. (Et que tous les autres étaient par conséquent imputables à la police : honte sur vous, les flics, vous ne savez pas vous tenir.)

Le Monde s’est passionné pour cette pondération : ces militaires n’ont tiré « que » 1 065 balles de défense, et ça, vraiment, ça « interroge » – retenons ce mot –, a professé le quotidien du soir. Sous-entendu: ça pose de graves questions sur la grossière intempérance des autres FDO.

Si graves, même, que Le Monde en a oublié de rappeler que la grenade qui avait tué Rémi Fraisse à Sivens en 2014 avait été tirée par un gendarme (et qu’un tel précédent aurait peut-être pu inciter sa hiérarchie à y aller un peu mollo, cinq ans plus tard, sur le c’est-pas-moi-c’est-l’autrisme), ou d’envisager que les 1 065 tirs de LBD de la gendarmerie aient pu être, plutôt que la preuve d’une appréciable retenue, 1 065 tirs de trop, puisque cette arme terrifiante est d’une telle dangerosité que le Défenseur des droits, M. Toubon, a de nouveau demandé, le 17 janvier (1), qu’elle ne soit plus utilisée.

Mais il faut tout de même reconnaître que Le Monde a ensuite introduit un peu d’équité dans son traitement du sujet, en soulignant que « les gendarmes ne sont pas les seuls à estimer ne pas être directement impliqués », et que « les CRS plaident aussi non coupable » – pour l’excellente raison que, dans leur grande sagesse, ils « n’ont tiré que quelque 2 500 cartouches sur les 8 163 attribuées aux policiers. » Puis Le Monde a constaté que, une fois reconnue la continence des gendarmes et des CRS, le gros des tirs, « soit environ 5 600 cartouches », était imputable à des fonctionnaires venu·e·s d’« unités spécialisées », type BAC et autres BRI.

Puis enfin Le Monde a produit, en guise d’explication de ce déséquilibre, cette ahurissante plaidoirie d’une « source policière haut placée » : ces fonctionnaires à la gâchette facile « sont issus d’unités davantage habituées à gérer des émeutes en banlieue […]. Le problème pour eux, c’est que, quand ils tirent au LBD dans les quartiers, ce n’est pas filmé sous tous les angles, et les personnes visées ne viennent pas se plaindre devant les caméras ». Mais là, très curieusement, Le Monde n’a pas jugé que ce glaçant aveu « interrogeait » – et qu’il posait de (très) graves questions sur la survivance, dans la France de 2019, de doctrines et d’impunités forgées dans l’époque coloniale.

(1) Après avoir déjà constaté un an plus tôt que ses « caractéristiques techniques » et ses « conditions d’utilisation » étaient « inadaptées à une utilisation dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre ».

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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