En trans de liberté

Un documentaire sensible de Stéphane Mercurio sur le passage d’un sexe à l’autre.

Jean-Claude Renard  • 27 mars 2019 abonné·es
En trans de liberté
© crédit photo : iskra

Ce sont sept comédiens non professionnels sur les planches. Sept transsexuel·le·s espagnol·e·s à suivre les instructions du metteur en scène Didier Ruiz, dans la préparation d’un spectacle vivant, à lui confier aussi en tête à tête des bribes de leur vie privée, tandis qu’il prend des notes, façon psychanalyste. À chacun de raconter ce moment de passage d’un sexe à l’autre, ce délicat moment de révélation, envers soi-même, envers l’autre. Pour l’un, cela reste un souvenir hilarant, dans un café, entre ses parents. « C’est comme être au bord du précipice et sauter. Je n’arrivais pas à parler. Je m’étais promis de ne parler ni de moustaches ni d’hormones, et la première chose qui est sortie, c’est “moustaches” et “hormones” ! C’était une catastrophe ! C’est le stress, comme parfois dans les films, où tout sort à l’envers. »

Mais tout le monde ne garde pas un souvenir heureux de ce moment quand il s’agit de se protéger, de supporter les coups, parfois depuis l’enfance, d’expliquer à son fils combien son propre corps mue, de jouer avec les apparences, d’affronter les moqueries, les humiliations, d’en passer par une mastectomie. Aux témoins également de livrer leur rapport au corps (et aux vêtements), d’improviser une réflexion qui devra tenir la scène. « Je m’aime de plus en plus, je m’accepte. Je prends soin de moi, je me dorlote, et je me sens de mieux en mieux dans mon corps », dit l’un d’eux. Un autre renchérit : « Je suis ce que je veux être. Prenez-moi comme je suis, ici et maintenant. » On ressent là, presque physiquement, une capacité à s’assumer avec une force intérieure peu commune et, à la clé, des certitudes de liberté.

Dans Après l’ombre (2018), Stéphane Mercurio filmait déjà Didier Ruiz, planchant sur les longues peines avec d’anciens détenus. Elle reprend ici pareil dispositif humble et discret. Alternant monologues et échanges, sans commentaire, seulement deux ou trois bancs-titres, elle suit les répétitions et les à-côtés du spectacle, entre intimité et détente dans les loges ou les coulisses, dans un dynamisme au diapason des personnages se déplaçant sur la scène.

« Filmer Didier Ruiz au travail avec ses comédiens, des personnes trans, c’est suivre une aventure collective, relève la réalisatrice. Filmer le surgissement de cette parole est un voyage plein de surprises où les questions sur le féminin, le masculin, la norme, les archétypes, la transgression, la sexualité nous assaillent et font basculer nos certitudes. » Des ingrédients nécessaires pour un film sensible sur l’acceptation.

L’un vers l’autre (56’), 29 mars, à 0 h 30, sur France 3 ; en replay jusqu’au 5 avril.

Culture
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