La dictature de la liberté économique

Pour le Premier ministre, une société libre est une société qui garantit avant toutes choses la liberté économique.

Mireille Bruyère  • 13 mars 2019 abonné·es
La dictature de la liberté économique
© crédit photo : BERTRAND GUAY / AFP

Pour les dix ans de l’Autorité de la concurrence, le Premier ministre, Édouard Philippe, a livré sa vision d’une société libre en citant par deux fois La Route de la servitude de Friedrich Hayek, le livre de chevet de Margaret Thatcher. Derrière le ton technocratique, ce discours nous éclaire sur les présupposés politiques de ce gouvernement. Quels sont-ils ?

Pour le Premier ministre, une société libre est une société qui garantit avant toutes choses la liberté économique, « première des libertés », dont découlent toutes les autres. Hayek a souvent affirmé que cette liberté est sans cesse menacée par toutes sortes d’idées fausses, comme celles de Keynes, des socialistes et des « rationalistes français », ces penseurs qui ont une confiance aveugle dans la raison. Selon Philippe, pour préserver ce socle « fondamental » de nos sociétés, l’État doit garantir fortement la liberté économique en imposant un « ordre public économique », quitte à réduire pour cela d’autres libertés publiques telles que les élections. Cet ordre est celui de la concurrence, seule organisation qui permette la vraie liberté individuelle, fondée sur la liberté des prix.

Cette primauté de l’ordre de la concurrence a conduit Hayek à prendre des positions politiques plus que douteuses. Il a soutenu la dictature de Pinochet car il préférait une dictature qui fortifie le marché plutôt qu’une démocratie sans marché. Il affirme que la « prépondérance du monde occidental provient de sa croyance en la propriété, l’honnêteté et la famille » et demande que notre vie soit guidée par la tradition morale de l’Occident chrétien, qui a façonné la civilisation moderne, celle du marché. Comment la liberté devient-elle source de dictature économique ? En étant réduite à la simple liberté individuelle d’avoir de moins en moins de contraintes, que celles-ci soient liées au travail, à la vie en société ou à notre rapport à la nature. Le pouvoir devient alors une pure coercition économique visant la préservation de la liberté individuelle, sans espace de délibération démocratique. Cette société de concurrence est une société d’individus isolés et flexibles, sans lien, ni lieu, ni travail durable.

Édouard Philippe propose de répondre aux attentes en termes de pouvoir d’achat en améliorant la concurrence sur les pièces détachées des voitures, les auto-écoles, les syndics de copropriété, les laboratoires d’analyses et la vente de médicaments. Il oublie que la liberté économique des classes populaires est grevée par les dépenses contraintes, en particulier le logement et les transports. Ces deux dépenses sont les conséquences bien réelles du fonctionnement structurel du capitalisme, qui concentre géographiquement les moyens de production, faisant monter les tarifs fonciers, les loyers et les coûts du transport. L’histoire sociale et écologique du capitalisme nous rappelle notre rapport indépassable à la nature et au travail. Cet ordre de la concurrence que l’État tente coûte que coûte de mettre en place prend de plus en plus la forme d’une folie, car il fait fi de ce que nous sommes : des êtres humains irrémédiablement attachés aux autres et à la nature.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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