Aurélie Trouvé : « Il faut désobéir aux traités »

Pour Aurélie Trouvé, il est tout à fait possible de rompre avec les règles empêchant de mener une politique progressiste.

Erwan Manac'h  • 24 avril 2019 abonné·es
Aurélie Trouvé : « Il faut désobéir aux traités »
© photo : Manifestation contre le TCE le 23 mars 2005 à Paris.crédit : JACK GUEZ/AFP

Changer l’Europe sans pour autant précipiter la France vers la sortie : Attac veut mobiliser sur une troisième voie, impliquant la construction d’alliances avec d’autres pays.

Faut-il sortir des traités ?

Aurélie Trouvé Porte-parole d’Attac et l'une des coordinatrices de Cette Europe malade du néolibéralisme, Attac et Fondation Copernic.

Aurélie Trouvé : Il faut désobéir. Aux traités, mais également à toutes les règles qui empêchent de mener une politique progressiste, en rupture avec le néolibéralisme économique. Il ne s’agit pas de désobéir à toute l’Europe, mais de rompre avec les règles qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt général. Nous devons cesser de penser que nous ne pouvons pas mener telle ou telle politique parce que l’Europe nous en empêche.

Les gouvernements et les collectivités locales doivent enfreindre certaines règles extrêmement contraignantes. En premier lieu, le carcan budgétaire de l’UE, matérialisé par la règle des 3 % de déficit, qui empêche toute politique budgétaire ambitieuse. Cela pourrait également passer par la mise en place d’une politique de contrôle des capitaux.

Autre exemple : la France vient d’annoncer qu’elle s’opposait à la reprise des négociations commerciales avec les États-Unis. Mais elle ne dispose pas d’une minorité de blocage et ne pourra donc pas empêcher l’adoption d’un accord de libre-échange qui s’appliquera sur son sol. Dans un tel cas de figure, nous devons chercher des alliances pour nous y opposer et, éventuellement, prendre des décisions contre l’avis de l’UE.

Ces actes de désobéissance doivent être assumés et coopératifs à l’échelle européenne, au nom de l’intérêt général. Dans le domaine agricole, par exemple, la santé des citoyens doit nous pousser à sortir des pesticides, mais, tandis que nous expliquons aux agriculteurs qu’ils doivent arrêter d’utiliser des produits phytosanitaires, il faut être cohérent et refuser d’importer des produits traités. Cela suppose donc de désobéir aux règles européennes du droit de la concurrence et à celles du marché commun.

Faut-il aller jusqu’à la sortie de l’Union européenne et de l’euro ?

La sortie ne serait qu’une solution en dernier recours. Une issue non coopérative et unilatérale serait douloureuse sur le plan économique et social. Par ailleurs, nous avons besoin d’une Europe politique et sociale forte parce que, dans un capitalisme financier mondialisé, nous devons être suffisamment puissants politiquement face aux multinationales. Et l’Europe politique pèse beaucoup plus que la France seule. De même, nous avons besoin d’une Europe politique qui ait du poids dans les négociations climatiques internationales ou dans les négociations commerciales pour imposer une nouvelle vision. Ce n’est évidemment pas le cas de l’Europe actuelle, mais il ne faut jamais perdre cet espoir.

Nous prônons donc plutôt de rester au sein de l’Union mais de taper du poing sur la table au nom de l’intérêt général, tout en essayant de construire des alliances avec d’autres pays. L’alternative doit donc se situer à mi-chemin entre le jeu institutionnel actuel, qui ne permet pas de s’opposer au néolibéralisme économique, et la sortie.

N’y a-t-il pas un risque de réactions en chaîne des autres pays européens ?

Il est sûr que cela demandera un rapport de force extrêmement rigoureux et une volonté politique très forte. Nous avons vu ce que la désobéissance aux traités pouvait donner avec la Grèce, dont le gouvernement a finalement cédé contre l’avis de son peuple. La France a évidemment un autre poids politique que la Grèce, mais il lui faudra avancer de manière très volontaire, autant que possible en s’alliant avec d’autres pays, et que ce processus soit porté par des mouvements sociaux d’ampleur dans les pays européens. C’est la raison pour laquelle Attac, comme beaucoup d’autres organisations, travaille à des alliances européennes.

Enfin, nous devons combattre la fatalité d’une Europe néolibérale qui nous empêcherait d’agir au niveau national. Oui, nous pouvons désobéir à l’Europe néolibérale et imposer d’autres voies. C’est essentiel de porter ce message, car la réaction qui monte aujourd’hui face à l’Union européenne est une réponse xénophobe, raciste et nationaliste, qui n’est pas moins néolibérale par ailleurs.

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