« Avant j’étais une écolo tranquille, aujourd’hui je flippe »

Inspirés par Gandhi, Act Up ou Keny Arkana, de plus en plus de jeunes décident de se former à la désobéissance civile.

Oriane Mollaret  • 17 avril 2019 abonné·es
« Avant j’étais une écolo tranquille, aujourd’hui je flippe »
© photo : Une action d’Extinction Rebellion contre le secteur du textile, le 12 avril 2019.crédit : Violenta_XR France - CC BY SA 3.0

Le point commun entre faucher des plants de maïs OGM et lancer des poches de sang sur des laboratoires ? La désobéissance civile. Ils sont une cinquantaine à être venus le 10 avril suivre la formation dispensée par Greenpeace, Alternatiba et ANV-COP 21 à Paris en vue de l’action programmée le 19 avril : « Bloquons la République des pollueurs ». Assis en rangs dans une salle aux murs verts, les aspirants désobéissants prennent des notes avec application. « On a un peu plus de 1 000 inscrits pour l’action du 19, se félicite Nicolas, d’ANV-COP21. Depuis la démission de Nicolas Hulot, fin août, on forme à la pelle à la désobéissance civile. Il y a toujours quarante à cinquante personnes par session. »

La sociologue Sylvie Ollitrault (1),confirme cet engouement : « Il y a une multiplication de groupes qui revendiquent le recours à la désobéissance civile, surtout chez les moins de 30 ans. Cette tendance se répand très vite avec les réseaux sociaux. » En France, selon elle, l’écologie est à la source de cette pratique avec la lutte du Larzac, lancée en 1971 contre l’extension d’un camp militaire dans l’Aveyron. Aujourd’hui, mouvements féministes, antiracistes et même identitaires se tournent vers ce mode d’action.

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« Il y a une défiance vis-à-vis de la politique représentative, explique Philippe Mangeot, ex-président d’Act Up, association de lutte contre le sida qui s’est illustrée dans les années 1990 par des actions spectaculaires. Au début d’Act Up, on pensait que la politique n’était possible que dans la conflictualité. Aujourd’hui, les gouvernements martèlent que ce n’est pas la rue qui gouverne. Les jeunes qui ne leur trouvent aucune légitimité cherchent d’autres formes de lutte que la grève ou la manifestation. »

« J’avais 12 ans la première fois que j’ai entendu parler de désobéissance civile. C’était dans une chanson de la rappeuse Keny Arkana », se souvient Victoria en prenant une pause après un diaporama très dense sur la non-violence. Léo, 26 ans, avait déjà fait quelques manifs. Mais, s’il a sauté le pas pour venir se former ce soir, c’est grâce aux Femen. « Quand j’ai vu les images de leurs blocages sur Internet, ça m’a marqué, explique-t-il. J’ai décidé de faire pareil. » La plupart sont des primo-activistes. C’est le cas d’Antoine, un étudiant de 22 ans au visage poupin : « J’ai étudié Martin Luther King et Gandhi au lycée, mais c’est en voyant 120 battements par minute [film de Robin Campillo sur les actions d’Act Up, NDLR] que je me suis dit que j’étais prêt à faire ça pour le climat. »

Pour les militants d’Act Up, à l’époque, il fallait faire vite : une part des militants, séropositifs, étaient en sursis, il fallait que les laboratoires améliorent rapidement l’accès aux traitements. Une urgence que l’on retrouve chez les jeunes engagés pour le climat. « Avant, j’étais une écolo tranquille. Aujourd’hui, je flippe, avoue Victoria_. La désobéissance civile, ça fait peur, mais j’ai tellement peur pour l’avenir que j’ai décidé de venir me former quand même. »_

Pour Philippe Mangeot, il ne s’agit pas de la même échelle d’urgence : « Certes, pour nous, à Act Up, il y avait une urgence vitale, mais nous étions très isolés, alors que les questions écologiques concernent toute l’humanité. Les enfants d’aujourd’hui naissent dans la perspective possible d’une extinction de l’espèce ou d’une guerre mondiale engendrée par la raréfaction des ressources. Ça m’étonne qu’il n’y ait pas encore eu d’attentats perpétrés par des écoactivistes. Je trouve ces jeunes encore très sages dans leurs actions. Je ne le souhaite pas, mais ce qui nous pend au nez, c’est un terrorisme vert ! » Les chaises sont poussées contre les murs et les vestes tombent. Les organisateurs simulent des arrestations pour que les participants s’entraînent aux méthodes de résistance passive.

Autre déclic pour de nombreux participants : la lecture du petit livre Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes (Payot, 2015). Où l’auteur, Srdja Popovic, fondateur du mouvement emblématique de désobéissance civile Otpor, qui joua un rôle majeur dans la chute du dictateur serbe Milosevic en 2000, raconte son expérience. « J’avais entendu Cyril Dion en parler, se souvient Cédric après les exercices pratiques. Je l’ai lu et je me suis dit que je pouvais agir moi aussi. »

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Cet ouvrage aurait même rencontré un certain écho au sein des forces de l’ordre. Or, au milieu des futurs désobéissants en plein apprentissage de techniques de blocage, un officier de police judiciaire parisien suit la formation. « Je milite depuis une vingtaine d’années, explique le policier avec un sourire. Je ne cache pas mon engagement à mes collègues pour susciter le dialogue. Certains sont d’accord avec moi et se rendent ainsi compte qu’ils ne sont pas seuls. » À l’en croire, même un CRS se serait montré intéressé…

Quant à la répression, elle n’inquiète pas vraiment les désobéissants en herbe. « Il y a toujours un risque, mais c’est comme aller en manif aujourd’hui : on peut tout à fait se prendre une petite balle de LBD » relativise Léo en haussant les épaules.

C’est maintenant l’heure du cours de procédure pénale accéléré sur les risques encourus. « Vous avez le droit de refuser la comparution immédiate, n’oubliez pas ! » répète Clément, d’Alternatiba. « Ils sont plus héroïques que nous ne l’étions, affirme Philippe Mangeot. C’est beaucoup plus dangereux de mener des actions de désobéissance civile aujourd’hui que dans les années 1990. Maintenant, il y a l’état d’urgence, les violences policières, et on se retrouve vite en prison. »

Bloquer une rue en faisant la chenille, créer un tapis de bras et de jambes enchevêtrés, faire le mort pour compliquer la tâche des CRS quand ils déplacent les militants… À la fin du dernier exercice, les participants sont en nage mais ont hâte de se retrouver en situation réelle. « Rendez-vous le 19 avril ! » lance Victoria d’un ton enjoué.

(1) La Désobéissance civile, Graeme Hayes et Sylvie Ollitrault, Presses de Sciences Po, 2012.

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