Une femme en roue libre

Un « solo anatomique » de Nathalie Fillion, servi par le jeu athlétique de Manon Kneusé.

Gilles Costaz  • 16 avril 2019 abonné·es
Une femme en roue libre
© crédit photo : Giovanni CittadiniCesi

Une jeune cycliste, cheveux et robe légère au vent, pédale à travers Paris. Mais la capitale est trop petite pour elle. Elle traverserait bien la France et le monde. Trop étroite pour elle, également, la pensée de ses contemporains. Ils sont trop tristes. Elle leur crie : « La vie est belle ! » Pourtant, tout lui montre que la vie n’est pas reluisante. Il y a des migrants, il y a Trump, il y a le prix de l’immobilier… Mais elle a la volonté et le don de s’émerveiller. Elle trouve admirables son intestin de huit mètres de long et le triangle parfait qui va de ses seins à son nombril. Elle a un ami avec qui les caresses se font sous un toit de Paris, mais il ne doit pas voir souvent cette pédaleuse infatigable. Elle descend de vélo pour faire ses ablutions, crier, danser en dehors de tous les codes en usage. Au dernier moment de la pièce, sa phrase sera suspendue, incertaine, cassée, mais pas sa course qui dessine de l’allégresse dans un monde où la joie est à réinventer de toute urgence.

Il y a dans cette jeune femme du Victor selon Vitrac (vous savez, cet insolent qui se moque des bourgeois le jour de ses 9 ans, jusqu’à en mourir) et de la Zazie dans le métro de Queneau, qui balance des inconvenances aux passants. Il y a ­surtout du ­Nathalie Fillion, qui signe texte et mise en scène et dont l’inspiration s’envole dans une grande fantaisie sans emprunter les routes connues de la contestation. C’est méchant, mais c’est tendre aussi. C’est délirant, mais plein de douceur. Nathalie Fillion, c’est un post-surréalisme qui n’aime pas les dogmes et fait exploser des pétards tout au long d’un carnaval précipité, féminin et personnel.

La réussite de ce spectacle concentré sur le tempo d’un fuseau horaire tient beaucoup de l’accord parfait entre l’auteure et l’actrice, qui ont déjà travaillé ensemble dans un esprit un peu « dingue » (c’est le terme employé par Nathalie Fillion). Manon Kneusé, qu’on découvre d’abord sur un home-trainer placé sous le souffle d’un ventilateur époumoné, a un jeu athlétique, à la fois charmant et brutal, civilisé et sauvage. Sa voix mélodieuse peut tout à coup tonner comme la pythie de Delphes devait le faire en son temps. Elle est drôle parce qu’elle ne rit pas. Elle prend très au sérieux sa façon d’être toujours dans un décalage plaisant et parfois hilarant. Dans un univers qui tend à modéliser tout un chacun, Plus grand que moi, « solo anatomique », est un merveilleux contrepoint. Un contrepoing, pourrait-on dire également.

Plus grand que moi, Théâtre du Rond-Point, Paris, 01 44 95 98 21. Jusqu’au 28 avril. Au théâtre Scènes des Trois Ponts, Castelnaudary (Aude), le 25 mai. Texte aux Solitaires ­intempestifs.

Théâtre
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