Winter is coming ou l’effondrement qui vient

L’ultime saison de Game of Thrones réactive le faisceau de correspondances entre cette saga politique au succès planétaire et notre monde contemporain menacé par l’effondrement. Les hommes au pied du mur poursuivent leurs guerres intestines pour le pouvoir en ignorant la menace réelle

Ingrid Merckx  • 19 avril 2019
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Winter is coming ou l’effondrement qui vient
© crédit photo : BRITTA PEDERSEN / DPA / DPA PICTURE-ALLIANCEPICTURE-ALLIANCE

Redouter l’hiver qui arrive à l’heure du réchauffement climatique n’est pas sans ironie. Pourtant ils sont nombreux les fans de Game of Thrones – GOT pour les initiés – à faire le rapprochement entre la phrase totem de cette série culte et la théorie de l’effondrement. Dans cette œuvre fleuve, saga politique la plus téléchargée au monde, et qui démarre la diffusion de sa huitième et ultime saison en grande pompe en France, le mur falaise qui protège d’un hiver interminable les seigneuries d’un Moyen Âge élargi est le dernier rempart avant la catastrophe. Il se fissure pour laisser entrer dans les contrées d’un Sud hospitalier des marcheurs blancs destructeurs venus du Nord qui résistent au froid et n’ont plus besoin d’aucunes ressources : ils sont déjà morts. Mais au lieu de lutter contre la menace d’une « nuit sombre et pleine de terreurs », les hommes au pied du mur s’enlisent dans des conflits féodaux d’une violence inouïe et la conquête d’un trône de fer…

Ça n’est pas qu’une lecture outrée d’écolos sensibles hantés par la hausse des températures. R. R. Martin, l’auteur des romans dont GOT est tiré, l’a confirmé au New York Times en 2018 :

Les gens de Westeros se battent pour le pouvoir, le statut et la richesse, ignorant la menace du « Winter is coming », qui est pourtant susceptible de les détruire tous et de dévaster leur monde. Eh bien nous, c’est pareil (…) plus rien n’aura d’importance si nous sommes morts et que nos cités sont englouties par la montée des eaux…

Pablo Servigne, un des théoriciens de l’effondrement, voit dans GOT le reflet inversé de notre époque (le Nord pour le Sud mais les mêmes guerres intestines ignorant la menace réelle), avec des migrants – appelés les « Sauvageons » – qui fuient, chassés par un avant-goût de catastrophe. Ces clandestins d’un monde post-état de droit font penser aussi bien aux migrants actuels qu’aux zadistes ou aux partisans de la désobéissance civile qui font notre Une de cette semaine. Ceux-ci savent que l’effondrement va renvoyer notre monde mondialisé dans des temps anciens où la vie était dure, et pas seulement dans les déserts, et pas seulement pour les pauvres. D’allure prophétique, la phrase « Winter is coming » circule comme un avertissement mal déguisé par l’espoir que ce soit comme dans la série : « pour de faux ».

Le faisceau de correspondances de GOT avec le monde contemporain est loin d’être anodin. L’effondrement fait même plusieurs percées dans l’actualité cette semaine. Sur le front climatique, avec cette semaine de désobéissance qui culmine le 19 avril. Sur le front démocratique, avec un dialogue social qui éclate jusque dans les hôpitaux, en grève à Paris, et dans les écoles qui multiplient nuits et occupations un peu partout en France. Et sur le plan culturel et symbolique, avec l’incendie de Notre-Dame au soir du 15 avril. Dans un obscurantisme médiéval, l’accident aurait laissé craindre un châtiment divin, et dans un XXIe siècle crispé, une attaque terroriste. Éléphant tué, tour dynamitée, arbre abattu, ou cathédrale en flammes, l’effondrement d’un colosse laisse toujours place à une stupéfaction triste et vertigineuse. Car si le colosse tombe, la foule petite à ses pieds et sur l’échelle du temps, se sent alors minuscule, voire inutile. Un milliard d’euros de dons annoncés en 48 heures pour reconstruire Notre-Dame : mais combien pour les hôpitaux, les écoles, le patrimoine en ruine, et les Misérables de France et de Navarre ? Déjà 17,4 millions de spectateurs sur la planète pour le début de la saison 8 de GOT, mais combien de marcheurs pour le climat ?

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