Six mois de tension signée Macron

Face aux manifestants, gilets jaunes ou militants syndicaux comme lors du 1er mai, le pouvoir assume une escalade de la violence, sans proposer d’autre issue politique que la nasse.

Michel Soudais  • 8 mai 2019 abonné·es
Six mois de tension signée Macron
© crédit photo : Laure Boyer / AFP

Le procédé est devenu courant. Le 1er mai, en fin d’après-midi, comme après d’autres manifestations chaotiques, le gouvernement a monté en épingle un incident qui, cette fois, s’est assez vite dégonflé. La ficelle était trop grosse. Car contrairement aux affirmations du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, il n’y a eu aucune « attaque » de blacks blocs contre l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Pas même d’« intrusion violente », comme il le soutient encore après avoir accepté de revenir sur sa première déclaration. Cette fable n’en a pas moins été complaisamment colportée vingt-quatre heures durant par la plupart des télés et des radios, et commentée sans distance par nombre de figures politiques de Jordan Bardella à Yannick Jadot, toutes indignées qu’un hôpital ait été pris pour cible. La fausse information castanérienne, validée par le Premier ministre, illustre de façon emblématique les méthodes de l’exécutif face à un mouvement social qu’il est incapable d’endiguer depuis six mois. Et présente toutes les caractéristiques d’un mensonge destiné à effacer l’effroyable gestion du maintien de l’ordre ce jour-là dans la capitale.

Comme chaque samedi, depuis les dégradations survenues sur les Champs-Élysées le 16 mars, la préfecture de police de Paris avait interdit pour ce 1er mai tout rassemblement sur la célèbre avenue, ses abords et la place de l’Étoile, ainsi que dans un périmètre incluant le palais de l’Élysée et l’Assemblée nationale, fermé un grand nombre de stations de métro et multiplié dans toute la capitale les « contrôles préventifs » autorisés par la toute nouvelle « loi anti-casseurs ». La veille, lors d’une conférence de presse, Christophe Castaner avait exagérément dramatisé l’enjeu de ce rendez-vous syndical en annonçant la présence de « 1 000 à 2 000 activistes radicaux », les black blocs, tentés « de semer le désordre et la violence » qui, à le croire, allaient être rejoints par plusieurs milliers d’« ultra-jaunes ». De quoi justifier un important déploiement de forces de police chargées de mettre en œuvre la nouvelle « doctrine de percussion immédiate » du préfet de police de Paris, Didier Lallement.

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Le 1er mai, les black blocs étaient bien moins nombreux qu’annoncés, mais cela n’a pas dissuadé les différentes unités de police présentes de « percuter » à plusieurs reprises les manifestants pacifiques. Prenant prétexte de quelques accrochages en aval du cortège syndical en train de se constituer, les forces de l’ordre y ont fait de multiples incursions dès 13 heures, soit une heure et demie avant le départ de la manifestation, chargeant sans discernement sur les trottoirs et entre les camionnettes de la CGT, de FO, de Solidaires ou de la FSU, sous une pluie de grenades lacrymogènes, faisant de nombreux blessés et créant des mouvements de panique parmi les manifestants. Incommodé, comme de nombreux manifestants, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez a dû temporairement quitter les lieux et renoncer au point de presse prévu. Par la suite, alors que les manifestants tentaient de rejoindre la place d’Italie sur un parcours dont toutes les rues adjacentes étaient bouclées, les forces de l’ordre n’ont eu de cesse de tronçonner le cortège, chargeant même sans raison le service d’ordre de la CGT, transformant cette manifestation déclarée et autorisée « en cauchemar traumatisant ».

C’est dans ce contexte tumultueux que 34 manifestants se sont réfugiés dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, alors que sur le boulevard leur cortège était « encerclé par devant et par derrière par des CRS ». « Nous avons subi une pluie de lacrymogènes et de LBD dans un incroyable mouvement de foule, tout le monde était visé, y compris des personnes âgées et des enfants », témoignent-ils dans un texte commun. Gardés à vue une trentaine d’heures, ils sont ressortis sans que rien ne puisse leur être reproché, mais très affectés par leur interpellation et les conditions inacceptables et inhumaines de leur détention.

Ce 1er mai marque un nouveau palier dans la répression de toute contestation quand celle des gilets jaunes avait déjà fait, au 29 avril selon le bilan officiel du ministère de l’Intérieur (1), plus de 3 800 blessés (environ 2 200 parmi les manifestants, 1 630 parmi les policiers), et donné lieu à 8 700 gardes à vue et 1 796 condamnations.

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Cette escalade de la violence est défendue par l’ensemble de la macronie, certains de ses élus assumant même ouvertement les morts qui pourraient en découler. Le député de La République en marche (LREM) Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid, a ainsi expliqué le 30 avril sur France 5 qu’il fallait laisser les forces de l’ordre aller au contact des manifestants et « oublier l’affaire Malik Oussekine ». Cette stratégie de la tension ne fait toutefois que souligner l’incapacité d’Emmanuel Macron et de son gouvernement à trouver une porte de sortie politique à un mouvement social sans précédent sous la Ve République, qui bat le pavé depuis six mois. La démission de Christophe Castaner, réclamée par une très large partie de l’opposition, aussi justifiée soit-elle au regard du lourd bilan humain de son maintien de l’ordre, n’y changerait pas grand-chose. Ce dernier n’étant qu’un exécutant d’Emmanuel Macron.

Dès le départ du mouvement, le président de la République a refusé tout véritable dialogue. Sourd aux conseils d’un Laurent Berger, patron de la CFDT, il ne s’est résolu à s’adresser aux Français que le 10 décembre, après quatre samedis de protestations, et pour fustiger « un enchaînement de violences inadmissibles » contre lesquelles il expliquait avoir donné « au gouvernement les instructions les plus rigoureuses ». Il n’a cessé de tenir cette ligne. Lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, il ne voit dans les manifestants du samedi que des « foules haineuses ». Un mois plus tard, il moque « Jojo le gilet jaune » devant cinq journalistes invités à l’Élysée pour une « discussion informelle », et assure que les violences sont le fait « de 40 000 à 50 000 militants ultras qui veulent la destruction des institutions ». Des ennemis de l’intérieur en somme. Le 26 février, en débat avec des élus du Grand Est, il déclare, martial : « Lorsqu’on va dans des manifestations violentes, on est complice du pire. »

L’accumulation de ces déclarations ne laisse aucun doute sur l’intention d’Emmanuel Macron. Elles visent tout à la fois à délégitimer les gilets jaunes, présentés comme menaçants, en jouant des ressorts de la haine sociale qu’une partie des classes supérieures vouent traditionnellement à la plèbe. À couvrir la répression policière qui les frappe et dont à aucun moment Emmanuel Macron n’a admis qu’elle pouvait donner lieu à des violences. Enfin, à dissuader leurs soutiens de se mêler aux rassemblements puisque le simple fait de participer à une manifestation qui tourne mal transforme tout citoyen pacifique en potentiel suspect.

Cette criminalisation des gilets jaunes par l’exécutif est dénoncée dans une tribune publiée par le collectif Yellow Submarine, qui regroupe quelque 1 400 créateurs et figures du monde de la culture. « Nous ne sommes pas dupes ! », proclament les signataires (2), qui dénoncent « les ficelles usées à outrance pour discréditer les gilets jaunes, décrits comme des anti-écologistes, extrémistes, racistes, casseurs… » Des ficelles abondamment répandues sur les réseaux sociaux par les cellules de riposte de La République en marche, ces modernes exécuteurs des basses œuvres du gouvernement.


(1) Ce bilan ne reconnaît pas la mort de Zineb Redouane, une octogénaire de Marseille, atteinte à la tête sur son balcon par un éclat de grenade.

(2) Sont notamment signataires les comédiennes Emmanuelle Béart, Jeanne Balibar et Juliette Binoche, les cinéastes Laurent Cantet et Robert Guédiguian, ou des auteurs comme Annie Ernaux, Bruno Gaccio et Édouard Louis.


Plus de flics, plus de blessés

Malgré la difficulté de récolter les données pour tous les actes des gilets jaunes depuis le 17 novembre, il est intéressant de voir que le nombre de blessés ne semble pas varier selon le nombre de manifestants mais plutôt selon le nombre de forces de l’ordre présentes. Pour l’acte 3 (1er décembre), 58 blessés, selon Allô place Beauvau, de David Dufresne, pour 66 000 forces de l’ordre et 136 000 manifestants. À l’acte 23 (20 avril), 64 blessés pour 60 000 forces de l’ordre et 27 900 manifestants.

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Selon le ministère de l’Intérieur, il faut compter 2 200 blessés depuis le début du mouvement.

Chloé Richard

Ces chiffres ont été récoltés sur différents médias (AFP, Allô place Beauvau/Mediapart, Le Monde, Libé) et d’après les communiqués du ministère de l’Intérieur.

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