Les Grünen, entre coalitions et contradictions

Après leur succès aux européennes, les Verts allemands vont-ils prendre le pouvoir ? Et, si oui, comment et avec qui ?

Rachel Knaebel  • 12 juin 2019 abonné·es
Les Grünen, entre coalitions et contradictions
© Les Verts allemands sont arrivés en 2e position au niveau national le 26 mai.Gregor Fischer/dpa/AFP

Avec plus de 20 % des voix (33 % chez les moins de 25 ans), les Verts allemands, les Grünen, ont réalisé un score historique aux européennes du 26 mai. Arrivés en deuxième place derrière le parti conservateur au niveau national, ils ont fini en première position dans toutes les grandes villes de l’ouest du pays, à Berlin et dans quelques métropoles de l’est. Qui aurait pu prédire ce succès européen au lendemain des élections législatives de 2017, où le parti n’avait pas atteint les 9 % ? C’était avant l’essor d’un nouveau mouvement écologiste venu de la jeunesse. En Allemagne, les manifestations des lycéens pour le climat – « Fridays for future » – ont lieu toutes les semaines depuis janvier dans des dizaines de villes. Le 24 mai, la manifestation berlinoise avait rassemblé 10 000 personnes, en grande majorité très jeunes.

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Ainsi portés par le mouvement climatique, les Grünen sont en train de devenir le deuxième parti du pays. Un sondage réalisé la semaine suivant le scrutin européen donnait même les Verts en tête. « Les Verts deviennent-ils le nouveau SPD ? », interroge le Spiegel dans un article du 31 mai. Au même moment, le magazine Stern met en une Robert Habeck, l’un des deux coprésidents du parti écologiste, avec ce titre : « Notre futur chancelier ? » Mais que vont faire les Verts allemands de ce triomphe inattendu ?

Au Parlement européen, il est bien possible que le nouveau groupe vert (qui compte notamment 24 députés allemands, 12 français et 11 britanniques) soutienne la candidature de la libérale danoise Margrethe Vestager au poste de présidente de la Commission européenne. Mais l’idylle des Verts et des libéraux n’aura pas besoin d’aller plus loin à Strasbourg. Si les groupes politiques du Parlement européen forment des alliances selon les sujets proposés au vote, le système politique allemand est bien différent.

Au niveau fédéral comme dans chaque État-région, les électeurs votent pour une assemblée : le Bundestag et les parlements des différents Länder. Ce n’est qu’ensuite que la chancelière ou le chancelier, son gouvernement ou les ministres-présidents (ou maires dans les villes-États comme Berlin ou Hambourg) et leurs équipes sont désignés par des majorités négociées. Or le Bundestag compte aujourd’hui six formations politiques : l’union conservatrice CDU-CSU (le parti d’Angela Merkel et la droite bavaroise, qui sont formellement deux partis mais fonctionnent toujours ensemble), les sociaux-démocrates (SPD), les Verts, Die Linke (gauche), les libéraux (FDP) et l’AfD (extrême droite), entrée au Bundestag en 2017. Il est donc impossible de gouverner sans former une alliance, entre des partis parfois politiquement éloignés. En témoignent les « grandes coalitions » constituées entre la droite de la CDU-CSU et les sociaux-démocrates (1). Le paysage est similaire dans les États-régions.

Par exemple, le même jour que les européennes, des élections régionales avaient lieu dans la ville-État de Brême, dans le nord-ouest de l’Allemagne. Auparavant, les Verts y étaient aux manettes aux côtés du SPD. Les résultats du scrutin ne leur permettent pas cette fois de poursuivre l’alliance à deux. Les Grünen discutent donc aujourd’hui à la fois avec les sociaux-démocrates et Die Linke d’un côté, et avec le parti conservateur et les libéraux de l’autre, pour, peut-être, former une coalition dite « jamaïcaine (2) ». Cette alliance noir-jaune-verte est déjà aux commandes dans un Land du Nord, le Schleswig-Holstein.

Cette possibilité avait aussi été envisagée après les élections législatives de 2017. Les Verts en avaient formellement discuté avec Merkel, mais les libéraux avaient claqué la porte des négociations les premiers. Dans tous les cas, pour entrer dans une coalition, le parti doit se mettre d’accord avec ses alliés sur un programme commun de gouvernement puis faire valider celui-ci par sa base. La mise en œuvre d’une éventuelle alliance avec la droite au niveau national dépend donc aussi de ce qu’en pensent les 80 000 militants des Grünen.

Au sein du gouvernement fédéral, les Verts n’ont pour l’instant gouverné qu’avec le SPD, de 1998 à 2005, avec Gerhard Schröder comme chancelier. Durant ces législatures, le parti écologiste a contribué à la première décision de sortie du nucléaire, avec le « consensus » de 2000, et au lancement de la politique de soutien aux énergies renouvelables. Mais cet épisode au pouvoir a aussi été marqué par l’Agenda 2010 de Schröder et ses réformes « Hartz », qui ont dérégulé le marché du travail, réduit les droits au chômage et paupérisé toute une partie de la population. Et Joschka Fischer a alors rompu avec le pacifisme originel des Grünen en envoyant, en tant que ministre des Affaires étrangères, des soldats allemands combattre dans les Balkans et en Afghanistan.

Au niveau des régions, les Verts ont formé des coalitions avec le SPD dès 1985. Et depuis 2008 avec le parti conservateur. Les Grünen ont d’abord dirigé avec la droite la ville de Hambourg. Ils sont à l’heure actuelle dans des gouvernements régionaux « noir et vert » avec la CDU en Hesse et en Bade-Wurtemberg. Dans cette région riche du sud-ouest du pays, ce sont même les écologistes qui sont à la tête de la coalition, avec Winfried Kretschmann comme ministre-président. Ailleurs, en Thuringe ou à Berlin, les Verts ont plutôt formé des alliances à trois avec le SPD et Die Linke. Ce qu’ils arrivent à imposer dépend ainsi également de leurs partenaires : la politique verte est davantage cantonnée aux thèmes de l’énergie, du climat et des transports quand ils s’allient à la droite ; ils sont plus présents sur les questions sociales, de migrations et de logement aux côtés de la gauche et des sociaux-démocrates.

Alliés avec presque tous les partis selon les circonstances, les Grünen sont-ils donc de gauche ou tout simplement centristes ? La réponse peut différer selon les régions, les courants et les personnes. Les Verts de Bade-Wurtemberg sont plus conservateurs que les Berlinois, héritiers des mouvements de gauche radicale des années 1970. Traditionnellement, la direction du parti écologiste allemand, bicéphale (une femme et un homme), se doit également de représenter les deux tendances : la « réaliste », celle des partisans d’une participation au gouvernement fédéral, et celle de gauche. Cette habitude a été rompue l’année dernière : la nouvelle présidence du parti élue début 2018 associe deux « réalistes », Annalena Baerbock et Robert Habeck. Un glissement vers le centre qui sera peut-être contrecarré par les milliers d’adolescents et de jeunes qui donnent depuis plusieurs mois un nouveau souffle à l’écologie allemande.


(1) La première « grande coalition » entre les conservateurs et les sociaux-démocrates date de 1966, en Allemagne de l’Ouest. Il y en a eu ensuite, à chaque fois avec Merkel comme chancelière, entre 2005 et 2009, puis depuis 2013.

(2) Les couleurs du drapeau de la Jamaïque sont noir, vert et jaune. Le noir est la couleur de la droite, le jaune, celle des libéraux.

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