Avignon off : Une bombe sociale

Désintégration, d’Ahmed Djouder, est un coup de semonce contre l’État français.

Gilles Costaz  • 9 juillet 2019 abonné·es
Avignon off : Une bombe sociale
© crédit photo : DR

Kheireddine Lardjam s’empare du livre d’Ahmed Djouder Désintégration (Stock, 2006). Le nom de cet auteur pourrait figurer de façon plus explicite sur les documents présentant le spectacle : il est à peine visible. Mais il est vrai que Lardjam compose un spectacle en deux temps dont la première partie s’inspire moins de l’ouvrage de Djouder. Premier temps : les Français issus de l’immigration se moquent d’eux-mêmes. Deuxième temps : coup de semonce contre la manière dont l’État français a traité cette nouvelle richesse de sa population.

Durant la première partie, une série de personnages apparaissent tour à tour sur des mini-scènes : religieux intraitable, jeune mariée le jour de ses noces… Le plus percutant est un dialogue sur le sexe : un massage pratiqué par un homme sur un autre homme révèle une sexualité inavouée. Jusque-là, le spectacle est tempéré.

Au début de la seconde moitié, les acteurs se placent derrière un rideau en corde et les paroles deviennent des coups de tonnerre. Ils disent l’essentiel de ce qu’a écrit Ahmed Djouder et qui, depuis la publication du livre, affirme une voie radicale dans l’analyse des Français issus de l’immigration et invités par les instances publiques à s’intégrer. « L’intégration, on n’en veut pas », disent les personnages à la suite de l’auteur. Ce qui est violent sur une page blanche l’est plus encore au théâtre. Cela frappe comme la foudre.

Le spectacle de Kheireddine Lardjam est étonnant par sa montée en puissance, en raison de son début bon enfant et rassurant. En inversant brutalement le propos, il heurtera certainement beaucoup de spectateurs. Interprété par d’excellents comédiens qui savent aisément passer d’une personnalité à une autre, c’est une bombe sociale qui fait exploser les bonnes consciences.

Désintégration, La Manufacture (château de Saint-Chamand), jusqu’au 25 juillet, à 14 h 05, 07 83 60 86 40.


Et aussi, dans le off d’Avignon…

Bérénice Paysages, d’après Racine

Dans un décor d’après-fête, assis sur une table qui trône au milieu d’un bazar de fleurs et d’objets divers, Mathieu Montanier chuchote en se démaquillant. Il faut tendre l’oreille pour attraper un vers de Bérénice, de Racine, et comprendre ainsi ce que le metteur en scène, Frédéric Fisbach, a voulu donner à voir, à sentir : le moment qui, pour un comédien, sépare la sortie de scène du retour au quotidien. Et la manière dont l’interprète dialogue avec les personnages qu’il incarne. Au-delà des époques. A. H.

Théâtre des Halles, 21 h 30.

Hen, de Johanny Bert

Avec son corps de mousse, de bois, de métal et de latex, le héros éponyme de Hen se permet toutes les transformations. Imaginé par le comédien, marionnettiste et metteur en scène Johanny Bert dans le cadre d’une recherche sur les origines d’un théâtre de marionnettes subversif, ce pantin manipulé par deux acteurs – Johanny Bert lui-même et Anthony Diaz – se livre à un singulier cabaret où la distinction des genres n’est guère davantage de mise que celle des textes et des musiques. Lesquelles vont de Brigitte Fontaine à Lady Gaga en passant par Freddie Mercury. A. H.

Théâtre du Train bleu, 17 h 10.

Paulina, d’après Angélica Liddell

Le Laboratorio Teatro de Lisbonne, la metteuse en scène Jessica Walker et l’actrice Clémence Caillouel ont pris dans un texte d’Angélica Liddell, La Maison de la force, de quoi construire un ensemble sur la destruction psychique d’une femme par le harcèlement psychologique, physique et sexuel. Clémence Caillouel, seule en scène, joue comme si elle était cassée, brûlée. Sidérant et magnifique. G. C.

Sham’s, 22 heures.

Le Duel, de Jean-Claude Grumberg d’après Tchekhov

Ce n’était pas une pièce de Tchekhov. C’en est une à présent, de par la plume du grand Jean-Claude Grumberg, qui a composé une œuvre fort tchékhovienne

à partir de ce feuilleton assez peu connu. Au Caucase, donc loin de ces grandes villes élégantes dont rêvent les personnages de La Mouette, un médecin et un savant en viennent à se défier en duel sans aucune raison. Ça s’arrangera, dans le désespoir. Une fine mise en scène de Lisa Wurmser, avec notamment Éric Prat, Frédéric Pellegeay, Klara Cibulova, Stéphane Szestak, tous profonds dans la gaîté triste.

Le Petit Louvre, 21 h 45. Texte à L’Avant-scène théâtre.

Théâtre
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