Ultimes barouds contre la PMA

Malgré le front des antis qui s’inquiète d’une « rupture anthropologique », l’ouverture de la PMA lors des révisions des lois de bioéthique semble réunir une majorité favorable.

Ingrid Merckx  • 24 septembre 2019 abonné·es
Ultimes barouds contre la PMA
© crédit photo : ERIC CABANIS/AFP

P as de PMA sans père », a décrété l’Académie de médecine (ANM). Dans un rapport publié le 21 septembre, elle exprime ses « réserves » sur l’ouverture de la PMA aux femmes seules et en couple, mesure phare de la révision des lois de bioéthique en séance plénière à l’Assemblée depuis le 24 septembre. La position de cette institution qui n’est pas réputée pour sa modernité est aujourd’hui portée par Jean-François Mattei, ancien ministre de la Santé du gouvernement Raffarin (2002-2004) mais aussi ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE, 1993-1999). Ce qui peut surprendre, le CCNE s’étant déclaré favorable à une ouverture de la PMA. Comme d’ailleurs d’autres instances pas réputées non plus pour leur modernité comme le Conseil de l’ordre des médecins, le Conseil d’État, ou la Commission d’audition parlementaire.

« Peut-on accepter qu’un enfant soit délibérément privé de père ? », a insisté l’ANM, fustigeant une mesure « à caractère sociétal », dans la lignée du Pacs et du mariage pour tous. Les premières lois de bioéthique en 1994 ont autorisé l’Assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples hétérosexuels infertiles en âge de procréer. L’AMP n’ayant jamais « soigné » l’infertilité, elle a toujours consisté en un accompagnement « social » ou « sociétal ». Le retour de cet argument au moment où se discute l’extension aux femmes seules et en couple apparaît donc comme discriminatoire aux yeux d’un certain nombre. Dont le député LREM Jean-Louis Touraine, rapporteur du projet de loi de bioéthique, qui a fait valoir sur France Info que tous les enfants nés dans des couples de même sexe « nous disent à quel point ils sont épanouis, à quel point ils sont heureux, ils ne souffrent d’aucun manque ».

« La conception délibérée d’un enfant privé de père n’est pas sans risques pour son développement », pointe encore l’ANM. Jean-François Mattei allant jusqu’à redouter une « rupture anthropologique ». Expression qui réjouira la Conférence des évêques de France, la Manif pour tous, et tout le front anti-PMA de François-Xavier Bellamy (eurodéputé LR) à Nicolas Bay (RN). Mais l’objet de leurs inquiétudes est-il bien le rôle du père dans la parentalité ? Car un quart des familles françaises aujourd’hui sont monoparentales, à 85 % avec une mère seule, a rappelé la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.

En outre, « le père, statistiquement, c’est un homme, mais ce peut être la grand-mère, a souligné le pédopsychiatre Boris Cyrulnik, le 18 septembre sur France Inter, distinguant la fonction de la biologie. Si deux femmes s’occupent d’un bébé, il y en aura une qui aura la fonction paternelle, même si ce sont deux femmes. » Idem si la mère élève l’enfant avec un homme qui ne l’a pas conçu. « Ce qui compte, c’est qu’il y ait deux [parents], parce que s’il n’y en a qu’un, l’enfant est prisonnier de l’affection. […] Ce qui compte, c’est que l’enfant apprenne à aimer sa mère et quelqu’un d’autre », a résumé cette figure de la pédopsychiatrie, prenant une position plus claire sur les parents de même sexe que rarement dans sa profession.

N’est-ce pas plutôt le rôle du père dans la procréation qui préoccupe les anti-PMA ? Pour le biologiste Jacques Testart (lire sa tribune), c’est le recours aux Cecos le plus problématique. Les banques de sperme générant une _« technicisation d’un acte intime » qui ouvre la porte aux dérives eugénistes. Mais l’auto-insémination, qu’il défendait déjà pour les couples hétérosexuels, plutôt que l’AMP, paraît difficile à soutenir quand un enfant sur 30 naît d’une PMA en France. Les femmes en couple et seules devraient-elles continuer à faire « à la maison » – ou à l’étranger – quand les couples hétérosexuels peuvent être accompagnés ? « L’autonomie » réservée aux femmes les excluraient d’un champ social sans faire d’elles pour autant des résistantes à la « bioéthique libertarienne ». Jacques Testart regrette que la situation des femmes seules et en couple n’aient pas permis une révision des lois de bioéthique limitant d’autres dérives. Sa position ultra minoritaire garde le mérite d’interroger le rôle et le fonctionnement des Cecos, ou les dérives du diagnostic préimplantatoire avec tri des embryons, angles morts des discussions. En réalité, les points les plus équivoques du texte débattu à l’Assemblée portent sur l’établissement de la filiation et l’impasse faite sur les parents transgenres. Autres sujets en débat, et non des moindres : la levée de l’anonymat sur le don de gamètes (lire Politis n° 1563), les tests génétiques (Politis n° 1525), et la recherche sur l’embryon. L’ouverture de la PMA, qui était une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron, jouant dans le contexte politique global le rôle de cheval de Troie. Ou d’alibi.

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