Lubrizol : une occasion à ne pas rater

Emmanuel Macron a promis d’œuvrer à l’application du principe pollueur-payeur. Justement, Lubrizol appartient à Warren Buffett…

Sébastien Fontenelle  • 2 octobre 2019 abonné·es
Lubrizol : une occasion à ne pas rater
© crédit photo : LOU BENOIST / AFP

Monsieur le président,

Un an après votre accession (1) à ce qu’il est convenu d’appeler, dans la presse comme il faut, « la magistrature suprême », vous avez, non sans hardiesse, placé votre quinquennat sous le signe du combat contre les « fake news ».

Cette prétention a, vous ne l’ignorez pas, soulevé parmi l’opinion quelques franches rigolades, car il s’y trouve des observatrices et observateurs à qui n’avait pas échappé que, outre que vous vous êtes, dans vos fonctions présidentielles, entouré d’un certain nombre d’approximatistes – je pense ici, en particulier, au ministre qui n’a longtemps vu aucune violence policière dans la répression du mouvement des gilets jaunes (2) –, votre propre rapport à la vérité se distend parfois, comme lorsque vous certifiez qu’il suffirait, en France, de traverser une rue pour trouver du travail, ou suggérez, devant des parterres choisis, mais après avoir réduit les APL et supprimé l’ISF, que vous seriez pour de bon sensible aux inégalités que le capitalisme creuse.

Mais voici qu’une somptueuse occasion s’offre à vous de faire taire ces rigolard·e·s. Et de leur montrer que non, définitivement non : vous n’êtes pas le bonimenteur qu’ils supposent.

Au mois de juin 2017, rappelez-vous, vous avez promis d’œuvrer pour une véritable application du principe dit du « pollueur-payeur », qui prévoit que si, par exemple, un milliardaire états-unien salit la Seine-Maritime, c’est à lui de payer le teinturier, plutôt qu’à nous, contribuables. 

Et justement : l’usine Lubrizol qui a brûlé à Rouen la semaine dernière, disséminant sur cette ville et sur ses entours (dans le moment précis où le même ministre dont je vous parlais plus haut enjoignait à leurs habitant·e·s de ne surtout « pas s’inquiéter ») des pluies d’hydrocarbures et l’équivalent de 8 000 mètres carrés d’amiante carbonisé, appartient depuis 2011 à une holding yankee dont l’action, en hausse de 0,39 % au jour où je vous écris ces lignes, vaut 311 450 dollars à la Bourse de New York, et dont le propriétaire est le magnat Warren Buffett – qui en 2008 avait investi 5 milliards de dollars dans le sauvetage de Goldman Sachs et qui a ensuite réalisé grâce à cette opération de bienfaisance une confortable plus-value de 2 milliards. De sorte qu’il vous sera, vous l’aurez compris, extrêmement facile de regagner du crédit auprès des sceptiques qui vous soupçonnent parfois de n’être pas complètement sincère, en le priant, dès à présent, et comme promis, de bien vouloir nettoyer les immondices qui ont ainsi été répandues, puis, bien évidemment, de prendre aussi à sa charge le coût des conséquences éventuelles de cette énorme catastrophe industrielle.


(1) Gagnée seulement, comme vous le savez, grâce aux voix d’électrices et d’électeurs qui ne partagent pas votre conviction affichée que l’immigration fait un légitime sujet de débat, et qui par conséquent n’ont pas du tout voté pour vous, mais contre la Pen.

(2) Mais il pourrait s’agir aussi de la ministre qui a certifié que les armes françaises vendues à l’Arabie saoudite n’étaient pas utilisées dans la tuerie de populations civiles du Yémen.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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