Dialogues au fil de l’eau

Stéphane Braunschweig explore la douleur et l’échec dans une mise en scène « liquide ».

Gilles Costaz  • 27 novembre 2019 abonné·es
Dialogues au fil de l’eau
© Elisabeth Carrechio

On a tendance à penser qu’au théâtre, et dans bien d’autres arts, la découverte des personnages peut aller bien plus loin que dans la vie quotidienne. Tous les secrets d’un être humain explosent dans son incarnation sur scène, semble-t-il. Ce n’est plus vrai dans les pièces d’Arne Lygre, auteur norvégien cher à Stéphane Braunschweig : le directeur de l’Odéon monte – et cotraduit avec Astrid Schenka – un texte de Lygre pour la quatrième fois.

Dans cette nouvelle œuvre, plus encore que dans les précédentes, on ne fait qu’effleurer les personnalités. Des gens passent et disparaissent. Ce ne sont d’ailleurs que des fragments, des instants d’individus – bien que cela perde de son évidence, une fois représenté. Un personnage qui exprime une douleur peut devenir plus tard un personnage contraire ou changer de sexe. C’est ce qu’exprime le titre français, Nous pour un moment.

Le sentiment ou l’aveu n’existe que le temps durant lequel le personnage vient sur le plateau, avant de s’effacer. Personne ne porte un nom. De simples qualifications s’inscrivent sur les grands écrans du décor : « un ami », « un ennemi », « une connaissance », « une personne »… Des femmes parlent de leur mari, de leur amant. Des hommes de leur partenaire, d’un parent. La douleur, le sentiment d’échec sont au cœur de ces brèves conversations sur le couple ou sur la solitude, échangées entre deux ou, plus rarement, trois passants, devant des tables de café ou sur un lit. Mais la dernière parole est optimiste. Le désespoir ne s’est pas emparé de tous les états d’âme.

Braunschweig aime se référer au sociologue polonais Zygmunt Bauman, qui théorisait « l’amour liquide » et « la société liquide ». C’est cette fluidité trouble qu’il met en scène, allant jusqu’à transformer le plateau en un vaste bassin peu profond, où les acteurs marchent ou restent immobiles les pieds dans l’eau. Cette création d’un tapis aquatique, qui frissonne et clapote, crée une étrangeté, une impression d’irréalité heureuse qui n’entre pas en contradiction avec la réalité angoissée des dialogues.

Dans ce contexte inattendu, les acteurs sont tous remarquables. Cécile Coustillac, Jean-Philippe Vidal, Chloé Réjon, Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Glenn Marausse, Pierric Plathier sont d’une profonde vérité alors qu’ils ne sont que passants furtifs et fugitifs. Le spectacle peut déconcerter mais il a son fort impact humain, alors que sa forme, remarquable, concilie le plein et le vide, le concret et l’abstrait.

Nous pour un moment, Odéon-Théâtre de l’Europe Ateliers Berthier, Paris XVIIe, 01 44 85 40 40. Jusqu’au 14 décembre. Texte français de Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka, dans le même volume que Moi proche, aux éditions de l’Arche.

Théâtre
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