Sylvana ou les mots de la forêt

À travers le portrait d’une Wayana d’Amazonie, _SELVE_ témoigne de la dure réalité guyanaise.

Anaïs Heluin  • 6 novembre 2019 abonné·es
Sylvana ou les mots de la forêt
© Nathalie Sternalski

Depuis sa création en 2007 par le metteur en scène, anthropologue, auteur et musicien Christophe Rulhes et l’acrobate-chorégraphe Julien Cassier, le GdRA défend un « théâtre de la personne et du témoignage direct, en conviant des amateurs ou des professionnels d’un vécu particulier au plateau », lit-on dans le dossier de SELVE. Second volet du cycle théâtral La Guerre des natures, cette création de la compagnie française vient après Lenga, où deux circassiens sud-africains disaient et performaient leur rapport à leur culture et à leur langue maternelle. Cette dernière aurait pu être aussi l’un des sujets centraux de SELVE, dont le personnage central, la Guyanaise Sylvana Opoya, est intervenante dans sa langue, le wayana, dans l’école où elle a grandi. Information absente du spectacle, de même que Sylvana elle-même.

Rencontrée par le GdRA dans son village de la forêt amazonienne, au bord du fleuve Lawa, Sylvana faisait pourtant partie de la distribution initiale de ce spectacle à la croisée des disciplines. Mais le rectorat de Guyane a décidé de la retenir afin, a-t-on avancé, de ne pas retarder sa formation d’institutrice. La parole vive de Sylvana, présente à travers de nombreuses vidéos, et sa façon d’aborder les tragédies vécues par les siens ne sont sans doute pas étrangères à cette interdiction déguisée.

Sur un plateau où se déploie peu à peu un paysage composite (deux masques Tamok et un grand maluwana, ou « ciel de case », côtoient des photographies prises en Amazonie par Hélène Canaud et de grands dessins de Benoît Bonnemaison), les mots de Sylvana disent les souffrances des habitants de la forêt. Mais aussi leurs espoirs et leur belle manière de s’arranger avec une culture plurielle.

« Je suis wayana, amazonienne, guyanaise, française », répète Sylvana au début de la pièce comme on prononce un mantra. Avant de déplorer l’impact de l’Occident sur le mode de vie des siens, leur éloignement des traditions, des croyances. Et de dire sa douleur face à la catastrophe naturelle provoquée par l’orpaillage, et face à la vague de suicides des jeunes Guyanais.

Fière, engagée, cette voix de femme du tout-monde se suffit à elle-même. Accompagnés sur scène par la comédienne Bénédicte Le Lamer et la danseuse et chorégraphe Chloé Beillevaire, les deux fondateurs du GdRA semblent le comprendre. La plupart du temps, ils se contentent de gestes simples. Presque invisibles. Mais se laissent parfois aller à une danse brute, primaire, qui n’a rien à voir avec la grâce et la grande retenue physique de Sylvana. Et qui jette un doute regrettable sur leur démarche.

Selve, compagnie GdRA, les 14 et 15 novembre au Prato, Pôle national des arts du cirque, Lille (59) ; le 19 novembre au Bateau Feu, Dunkerque (59) ; du 21 au 23 novembre au Théâtre de la Cité internationale, Paris XIVe. Tournée sur https://legdra.fr

Théâtre
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