Au Relais, à Pantin : Chaud devant !

Situé à Pantin, restaurant mêlant formation et insertion, Le Relais fête ses vingt-cinq ans. Une réussite historique qui tient notamment à la personnalité de son fondateur, Belka Kheder.

Jean-Claude Renard  • 18 décembre 2019 abonné·es
Au Relais, à Pantin : Chaud devant !
© Virginie Pérocheau

Entrée au choix : duo de camembert et reblochon panés et leur confit d’oignons ; « pokora », beignets de légumes népalais ; ou tarte fine aux poires et fourme d’Ambert. En plat, burger au morbier et ses pommes Pont-Neuf ; cocotte végétale au curry et riz aux épices ; ou andouillette rôtie, crème de moutarde, gratin aux cèpes. En guise de sucré, croustade périgourdine, tiramisu en verrine ou tarte au chocolat. Voilà pour la formule entrée-plat-dessert. À la carte se bousculent encore un assortiment de mezzés et un gravelax de saumon à la crème acidulée et ses blinis, des côtes d’agneau grillées avec une écrasée de pommes de terre, des coquilles Saint-Jacques snackées à la fève tonka accompagnées d’un risotto au lait de coco, une crème brûlée aux poires parfumée à la badiane…

61, rue Victor-Hugo, à Pantin, derrière le premier rideau de bâtiments du canal de l’Ourcq. Murs de briques pourpres enserrées dans une charpente métallique, larges baies vitrées, pavage irrégulier dans la cour. L’adresse a de la gueule, décline une ambiance de brasserie animée. À l’entrée, un bar à salades propose sur son étal une petite cuisine de plats à emporter aux saveurs du bout du monde. Ce jour-là, le restaurant est gavé. La clientèle est souriante. On y croise toutes les classes sociales, des gens de bureau, des potes de bonne chère, des curieuses en goguette, des férus de la casserole. À 18 euros le menu, au gré du marché, on ne se prive guère. Elles sont quatre ou cinq en salle à faire tourner les assiettes, sous la houlette d’Andry Ratrimoarivony, déployant son élégance naturelle d’une table l’autre, l’œil aux aguets, bienveillant et vigilant à la fois, cependant que Gisèle Roger se charge des encaissements.

Longtemps, près de vingt-cinq ans, Hubert Branjonneau a dirigé les cuisines pour le service du déjeuner. S’il est parti à la retraite à la fin de l’été dernier, son empreinte est encore vivace autour des pianos. Et son état d’esprit. Des produits frais, parfois bio, un renouvellement quotidien du menu à côté de la carte. Des aliments qui viennent de Rungis, du circuit court de la mer, Poiscaille, et du Marché sur l’eau, livrant une fois par semaine ses fruits et légumes de Seine-et-Marne par le canal de l’Ourcq. Laurent Lepresle a pris la suite aux manettes des fourneaux. Et toujours, autour de lui, Djamal Rezki au poisson, Lahoucine Oubaha, chef de partie des entrées, Nadia Eissa au dessert, Coulibaly Alassane au service du soir. Voilà pour les têtes de ce restaurant conjuguant l’insertion et la formation. Salle et cuisine. Avec un quart de siècle derrière lui. Voire plus. Et, à la tête du centre de formation, Hayet Benmokhtar.

Ça a débuté comme ça. Par une activité de formation adossée à un restaurant d’application, aux premiers jours de janvier 1992, dans ce qui fut une fonderie au XIXe siècle avant de finir en friche industrielle comme il n’en reste plus des bottes aujourd’hui le long du canal. D’emblée, le principe de -fonctionnement est simple : former et faire travailler des jeunes ou peut-être moins jeunes du département qui peinent à trouver une place sur le marché de l’emploi, demeurent à l’écart des circuits. Dans la restauration, on manque de bras, le personnel fait défaut. À l’évidence, y a du boulot à prendre. Encore faut-il être formé, avoir certaines compétences entre les mains. À ce moment, Pantin, populaire et ouvrier, dérouille sévèrement, vit douloureusement la rupture avec la politique sociale des Trente Glorieuses. Dans le sombre décor des périclites (Marchal puis Valéo, la Seita, Motobécane) et d’un déclin assuré, les milieux associatifs se démènent pour trouver de nouvelles activités alliant l’économie, l’emploi et la formation. On parle déjà d’économie « alternative et solidaire ». Le Relais s’inscrit dans ces initiatives, au sein de la Maison des associations, des alternatives et de la formation (la -Maaform), carrefour et fourmilière de trajectoires sociales, avant de prendre le statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic).

Pas loin de cinq mille personnes sont passées en formation, un millier par l’entreprise d’insertion. Les deux volets restent liés, tout comme les cuisines où s’agitent le personnel et les stagiaires en formation. Plus de la moitié de ces personnes sont parties vers un emploi durable au terme de leur parcours.

Une aventure humaine qui dure, perdure, relatée maintenant par Philippe Chibani-Jacquot dans l’ouvrage S’il suffisait de traverser la rue…, titre clin d’œil à la formule dédaigneuse employée par Macron, remarquablement illustré par des photos de Virginie Pérocheau (1). Une aventure ponctuée de séquences fortes, comme celle où la Société générale, déménageant son siège du boulevard des Italiens à La Défense, cède sa cuisine de mille mètres carrés à Emmaüs. Dans un jeu d’alliances et de connaissances, du jour au presque lendemain, Le Relais récupère la hotte, un piano, des fours, la plonge, de la vaisselle, des tables et des chaises. 1994 marque alors les débuts du Relais tel qu’il existe aujourd’hui, développant également un solide service traiteur.

À l’origine de cette aventure, de cet écrin d’initiatives et d’expérimentations, un homme : Belka Kheder. Toise raisonnable, fluette silhouette, taillé comme un épais cure-dents, mais une force de caractère trempé peu commune. C’est lui qui, en 1992, fonde et inaugure Le Relais, cette imbrication de formation et d’insertion au sein d’un restaurant, avec la volonté « de créer de l’emploi pour des personnes qui en ont besoin et dans un secteur qui recrute ». Belka a déjà bosse roulée. Né en Algérie, il a été éducateur de rue, à Montreuil et à Bondy, dans les années giscardiennes puis mitterrandiennes, assistant à la montée du chômage, des violences, et à l’arrivée des trafics de stupéfiants dans les cités, qui crèvent les rapports de fraternité, de convivialité et d’entraide. « C’est un métier dans lequel on ne voit pas l’impact immédiat. C’est frustrant », avoue-t-il.

Initié à la cuisine par une belle-mère italienne du Piémont, Belka, lassé, change de direction et prend les rênes d’un restaurant de soixante couverts dans le IXe arrondissement de Paris, rue de Châteaudun. Cuisine tradi, salle de jazz-club au sous-sol, mais surtout un nid d’emmerdes et d’embrouilles. Belka se cogne toutes les chienlits d’un restaurateur, des pannes de matériels aux inondations, des problèmes de personnel et de recrutement à la gestion compliquée des stocks. Trois années durant, avant de raccrocher. Guère éloigné des cosmogonies sociales, le voici initiant le projet du Relais. Les deux premières années, « le restaurant fonctionne comme la cantine des utilisateurs, salariés et bénévoles de la Maaform, rappelle Philippe Chibani-Jacquot. Puis les amis des premiers s’ajoutent à la clientèle, rejoints par certains partenaires ».

Les soirées festives élargissent le cercle. Et, surtout, « la direction départementale du travail et de l’emploi accorde l’agrément d’entreprise d’insertion au Relais restauration, qui gère le restaurant. Cela lui permet d’embaucher des personnes en contrat d’insertion et une équipe d’encadrants techniques en cuisine et en salle ».

Élan pris, le bouche-à-oreille suit, le caboulot affiche complet au déjeuner dans le paysage pantinois, avec une clientèle qui sait combien Le Relais n’est pas qu’un resto de plus dans la cité pour le tiroir-caisse, mais avec une insertion derrière et un centre de formation ouvert à tous. « La seule -condition, c’est la motivation. On ne chauffe pas la place pour rien, on ne peut pas faire ce métier sans s’investir sérieusement ! Et mine de rien, en quelques années, j’ai vu toute la planète passer, s’amuse Belka. Un arc-en-ciel de nationalités. »

Entre 2012 et 2013, tandis que les bords du canal ont déjà entamé leur mutation vers la gentrification, avec pléthore de bureaux chics et de restaurants alentour, l’établissement se fend de nouveaux travaux tout en conservant son allure industrielle, renouvelle son matériel, ses espaces, passe de 300 à 1 250 m². On démultiplie. En cuisine comme dans les bureaux et les salles de formation et séminaires, propices aux cours théoriques pour accueillir des stagiaires toujours nombreux, à raison de sept heures par jour et pour douze personnes par session. On crée une seconde salle, dotée d’un patio, destinée aux réceptions, mariages et concerts, ou accueillant des expositions temporaires. À la rentrée 2020, justement, Le Relais exposera le travail photographique de Virginie Pérocheau. Une galerie de portraits qui raconte l’aventure humaine et collective du lieu, dynamique. Suivant la formule fétiche de Belka : « On est là pour donner de l’oxygène, pas pour respirer à la place des gens. On transmet. »

(1) S’il suffisait de traverser la rue… Le Relais, un restaurant à Pantin, 25 ans d’économie solidaire, Philippe Chibani-Jacquot, photos Virginie Pérocheau, Les Petits Matins, 142 pages, 16 euros.

Le Relais, 61, rue Victor-Hugo, Pantin (93), 01 48 91 31 97, lerelaisrestauration.com