Effondré par l’effondrisme

Yves Cochet se vautre dans une délectation funeste et des exhortations au repli fataliste.

Sébastien Fontenelle  • 8 janvier 2020 abonné·es
Effondré par l’effondrisme
© PETER PARKS / AFP

Jusqu’à ces derniers temps, je n’avais jamais lu de littérature effondriste (ou collapsiste, si tu préfères), du nom de ce courant d’idées qui présage que, dans les toutes prochaines années, le monde tel que nous le connaissons se sera complètement disloqué et que la Terre sera devenue un endroit épouvantable – sauf peut-être pour celles et ceux qui auront eu la bonne idée de prendre les devants et de se construire, après avoir appris à bien distinguer une myrtille d’une amanite tue-mouches, un refuge permacultivé dans le Diois (avec des réserves un peu conséquentes de sucre et de bougies, et peut-être aussi quelques flingues, parce qu’à côté de ce que nous promettent ces prophètes de malheur, Mad Max 4 nous apparaîtra rétrospectivement comme une espèce de conte pour enfants un peu mièvre).

Alors je me suis plongé, pour voir en quoi consiste précisément cette prose, dans le dernier bouquin d’Yves Cochet (1), qui dans cet ahurissant ouvrage évoque lui-même Philippulus – l’illuminé, tu sais, qui se balade dans Tintin en gueulant que « des jours de terreur vont venir » et que « la fin du monde est proche ».

Mais je n’ai pas tenu très longtemps : j’ai calé au moment où le gars se met à expliquer que cinq milliards d’êtres humains vont de toute façon mourir dans les jours qui viennent, mais qu’il faut quand même se mobiliser pour essayer de faire en sorte qu’ils ne soient que quatre virgule quatre-vingt-dix-neuf milliards, et pour reconstruire des mini-communautés autarciques entre survivant·es de bonne volonté, lesté·es de compétences différentes – qui l’agriculture, qui la culture des idées – mais complémentaires. (Mec : c’est tout ce que t’as à proposer ? Marcher dans les cadavres en buvant de l’eau bouillie et en espérant que le voisin de la colline d’à côté sera d’accord pour échanger une partie de son stock de millet contre un cours d’initiation à la généalogie de la morale ?)

D’une certaine manière, cette prédication est donc d’une redoutable efficacité : en sortant de la lecture ultraflippante de ses cent premières pages, j’étais effectivement effondré.

Puis j’ai ouvert le nouveau livre de Naomi Klein (2), volumineuse compilation d’articles déjà publiés en Grande-Bretagne et aux États-Unis (mais réactualisés) et de textes inédits – et tout de suite il m’a redonné du pep (3).

Car à partir du même évident constat que « la crise climatique » fait peser une menace effectivement terrible sur « l’équilibre du monde » et qu’il nous reste très (très) peu de temps pour juguler cet immense péril, l’autrice, anticapitaliste assumée, appelle, au rebours de l’espèce de délectation funeste dans laquelle se vautre Cochet – et de ses exhortations au repli fataliste –, à une mobilisation collective. « Notre maison est en feu », écrit-elle, mais « il est encore temps de nous sauver, nous et une grande partie des autres espèces. Éteignons les flammes qui la dévorent et construisons autre chose. Quelque chose d’un peu moins ornementé, mais où tous ceux qui ont besoin d’un abri et de considération auront leur place ». On s’y met cette année – que je te souhaite, malgré tout, aussi bonne que possible ?

(1) Devant l’effondrement, Les Liens qui libèrent, 2019.

(2) Plan B pour la planète : le New Deal vert, Actes Sud, 2019.

(3) Oui : du pep. C’est-à-dire, d’après mon dico : du « dynamisme », de l’« entrain », de l’« allant ».

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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