La fin de la grève fait des euros

À la gare du Nord, l’humeur n’est pas à la résignation, grâce à un chèque de soutien de 100 000 euros, mais pas que…

Erwan Manac'h  • 22 janvier 2020 abonné·es
La fin de la grève fait des euros
© Samuel Boivin / NurPhoto / AFP

Après plus de six semaines de grève, les comptes en banque font grise mine : « On est sur un régime de pâtes le lundi, patates le mardi, gratin de pâtes le mercredi… », grince Stéphane, contrôleur. Sur les visages des derniers grévistes de la gare du Nord, à Paris, les sourires sont pourtant bien cramponnés. Comme chaque matin à 11 heures, l’assemblée générale se réunit à l’extrémité des quais. La foule – entre une trentaine de personnes par temps calme et une grosse centaine les jours de manif – est là pour communier et se donner du courage. On claque une bise, écoute d’une oreille distraite les humeurs du jour déclamées au micro d’une petite sono portative et vote la reconduction de la grève. Mais l’enjeu est ailleurs. « On ne va pas se mentir, ça commence à tirer dans les pattes, mais ça ne veut pas dire que c’est la fin dans les têtes. Beaucoup de collègues se sont mis à penser à l’échelle globale pendant ce mouvement. Comme avec les gilets jaunes, c’est une école de la lutte des classes », témoigne Antony, cheminot sur la ligne H du Transilien. Monique, secrétaire de SUD Rail, pense aussi que le moment laissera des traces : « Il s’est passé quelque chose de très profond dont on ne peut pas mesurer l’impact sur les consciences. Nous avons montré qu’on était capables de nous bagarrer, sans corporatisme. »

Les efforts de ce noyau militant sont tendus vers la journée nationale de mobilisation du vendredi 24 janvier. Il faut se faire « militant de la grève » pour que les journées d’action soient les plus suivies possible. « Ce n’est pas avec des journées d’actions isolées qu’on va gagner, on a vu l’échec de cette stratégie lors du mouvement contre les lois travail, lance Basile, conducteur sur le réseau Transilien et figure du syndicat FO local, mais l’enjeu est de montrer que le mouvement continue et qu’il est toujours aussi fort en interprofessionnel. » Les signaux des autres fronts de lutte sont scrutés avec espoir. « Nous ne sommes pas défaitistes, nous sommes hyperfiers de ce qu’on a fait et nous n’avons pas perdu, le mouvement continue sous d’autres formes », assure Stéphane.

Trois émissaires de la caisse de solidarité tenue par le syndicat Info’Com CGT et SUD 92 sont venus remettre, ce 21 janvier, un chèque de 100 000 euros à partager entre les grévistes de la gare du Nord. Cinq jours plus tôt, une équipe d’une dizaine de grévistes était élue pour plancher sur les règles du partage de cette somme, qui une fois saucissonnée sera surtout symbolique. « C’est un taf de merde, mais il faut le faire », lance Basile au micro. Le flou est maximum, car les règles appliquées par les services de paye diffèrent d’un secteur à l’autre de la SNCF et les payes de décembre ne décomptent que les premiers jours de grève. « Il devrait y avoir des payes négatives en janvier, en rattrapage, prévient Monique, et ce qui est sûr, c’est que nous allons payer la grève jusqu’en mars. » Le consensus est finalement établi sur un principe de « confiance et de contrôle », chacun remplira un formulaire et montrera ses fiches de paye lors de la remise des chèques. Une partie de la somme sera également mise de côté pour les besoins urgents.

Économie Travail
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