Besançon mise sur le vert-rouge-rose

La ville de Franche-Comté fait partie des fiefs de gauche que les écologistes comptent bien emporter, sans LFI.

Agathe Mercante  • 5 février 2020 abonné·es
Besançon mise sur le vert-rouge-rose
Anne Vignot, tête de la liste Besançon par nature, créditée de 34 % des intentions de vote.© Nicolas-Baptiste Beliard

J’avais envie qu’avec cette alliance le peuple de gauche ait les yeux qui pétillent », explique Christophe Lime, élu communiste de Besançon et l’un des premiers à avoir œuvré à la candidature d’Anne Vignot, écologiste à la tête d’un vaste rassemblement de la gauche pour les élections municipales. Les yeux qui n’ont jamais vu la capitale franc-comtoise pétillent quoi qu’il arrive. Les hauteurs, où est installée la gare de Besançon-Viotte, offrent une vue imprenable sur la cité, nichée dans l’un des méandres du Doubs. Le dôme du clocher de la cathédrale Saint-Jean domine les rues pavées de la vieille ville, où les voitures ne sont pas les bienvenues.

C’est dans la Grande Rue, dans l’ancien local d’une boutique au nom évocateur – Bagheera – que les candidats ont installé le QG de campagne d’Anne Vignot. L’élue Europe Écologie-Les Verts a été désignée pour porter le projet d’une vaste coalition regroupant le PCF, le PS, Génération·s et À gauche citoyens !, une association de militants, pour beaucoup anciens du Front de gauche. Une grande table, quelques chaises en carton – « c’est écolo », nous indique-t-on –, d’innombrables portants qui accueillent les manteaux des quelques visiteurs, un petit chauffage électrique ronronnant et un kakémono aux couleurs de cette alliance verte-rouge-rose, nommée « Besançon par nature », ont été installés.

Anne Vignot est contrariée ce jeudi matin. Elle a reçu un message incendiaire, immédiatement suivi d’un communiqué de presse, d’Éric Alauzet, candidat à la mairie et député de La République en marche après être passé par EELV et le PS. À l’occasion de la manifestation contre les retraites de la veille, le local de l’élu du cru a été « décoré » d’une trentaine d’autocollants de la CGT et de SUD. Il dénonce « la tyrannie d’une minorité de radicaux » et fait état d’« agressions verbales et physiques, [d’]intimidation et [de] violence ». « Ce ne sont que des autocollants », tempère Anne Vignot. Plus tard dans la journée, plusieurs manifestants iront bâtir un mur de chaussures devant sa permanence parlementaire, cette fois en référence aux députés godillots de la majorité.

« Les Bisontins sont des personnes d’une grande rigueur intellectuelle qui n’admettent pas que l’on déroge à ses convictions », constate Christophe Lime. Si rien n’indique que ces actions soient liées à l’équipe de « Besançon par nature », le marcheur semble vouloir le faire croire. La campagne s’intensifie à mesure que l’échéance du 15 mars se rapproche et les coups bas fusent. « Ils ont peur de nous ! C’est pour ça qu’ils nous attaquent », estime Élise Aebischer, troisième sur la liste et membre de Génération·s.

Anne Vignot est en effet créditée de 34 % des intentions de vote, loin devant Éric Alauzet (23 %), le centriste Ludovic Fagaut (15 %) et le Rassemblement national de Jacques Ricciardetti (10 %) (1). « Besançon est une ville profondément de gauche », rappelle-t-elle, comme pour conjurer le risque qu’elle soit ravie par la droite, l’extrême droite ou les libéraux. En effet, la préfecture du Doubs peut se targuer d’avoir fait un sans-faute depuis la Libération. Se sont succédé jusqu’ici des maires SFIO, des radicaux, des « divers gauche » ou encore des socialistes. Jean-Louis Fousseret, le maire actuel, a fait exception à la règle en rejoignant, en 2017, le parti d’Emmanuel Macron. Pionnière du RMI, la ville, qui compte aujourd’hui 115 000 habitants, a vu naître quelques grands noms de la gauche – Charles Fourier, Victor Hugo, Pierre-Joseph Proudhon – et a même accueilli l’étudiant Jean-Luc Mélenchon. « Il y a aussi des femmes », insiste Anne Vignot, qui cite l’écrivaine féministe et révolutionnaire Jenny d’Héricourt. « Proudhon n’était pas un exemple en matière d’égalité femmes-hommes », plaisante-t-elle.

Si Anne Vignot accédait à la mairie, elle serait la première femme élue à ce poste à Besançon. « Elle est élue du conseil municipal, elle en connaît donc les rouages, elle est écologiste, c’est une femme : elle nous semblait être la meilleure pour porter une candidature », explique Christophe Lime. Le PCF, EELV et À gauche citoyens ! sont les architectes de cette liste commune, qu’ils ont œuvré à mettre en place dès janvier 2018. Ils ont par la suite été rejoints par Génération·s puis par le PS. Arrivés en dernier, les socialistes ont mis du temps à se décider. « Nous nous sommes dit : “on ne va pas gagner, alors autant s’allier” », relate Nicolas Bodin, leur représentant. « Certains voulaient rejoindre Anne Vignot dès le premier tour, d’autres au second, et d’autres encore envisageaient de suivre Éric Alauzet », se souvient-il.

« Ils sont arrivés après le premier sondage, celui du mois de juillet 2019, raconte l’un des membres de l’alliance, mais nous étions opposés à ce que le PS obtienne la tête de liste », indique-t-il. Chat échaudé craint l’eau froide et, comme partout en France, gauche et écologistes craignent les socialistes. Mais si c’est bien à une élue verte que les gauches ont confié les clés de la campagne, le programme, lui, a été concerté. « Nous avons travaillé autour de quatre grands thèmes : le climat et la biodiversité, la fracture sociale, la crise démocratique et l’attractivité de la ville », détaille Anne Vignot.

Le 15 janvier, la candidate a présenté les 50 premières propositions (350 autres sont à venir) devant la presse locale. « Grand budget pour le climat » (rénovation des écoles et des bâtiments municipaux, etc.), réseau express cycliste sur les grands axes, objectif zéro carbone d’ici à 2040, pourcentage minimum de logements publics (20 %) et de logements abordables (10 %) dans les grandes opérations d’urbanisme, création d’un trail franco-suisse (la frontière est à 70 kilomètres), gratuité des transports en commun dès la veille des pics de pollution. Mais l’accent a avant tout été mis sur la jeunesse : un « revenu minimum jeune » qui s’élèverait à 580 euros pour ceux qui ne sont dans aucun dispositif sera mis en place et les transports seront gratuits pour les moins de 26 ans. Si l’initiative a emballé, tous n’auraient pas étendu la mesure au même degré. « J’aurais fait la gratuité pour les scolaires seulement et aurais développé le réseau », affirme Nicolas Bodin. « Nous aurions fait la gratuité pour tout le monde », indique Christophe Lime.

Mais, si la gauche semble réunie derrière la candidature d’Anne Vignot, un parti manque à l’appel. Au café, place Bacchus, Claire Arnoux ne tarit pas de critiques à l’encontre de cette alliance verte-rouge-rose. Militante locale et tête de liste pour « Besançon verte et solidaire », sous le label de La France insoumise, elle rappelle qu’une bonne partie des candidats, dont Anne Vignot, font partie de la majorité sortante de Jean-Louis Fousseret. « Ils ont fait fermer le local “Bol d’air”, qui permettait de recevoir les migrants ; ils ont soutenu le projet d’“écoquartier” des Vaîtes, qui a été reconnu comme un “grand projet inutile” (2) _; et ils ont même laissé passer un arrêté anti-mendicité »_, s’indigne-t-elle. « On se moque de l’étiquette sur la bouteille, ce qu’on regarde, c’est ce qu’il y a dedans, et ils ne sont pas de gauche », estime-t-elle.

Interrogés sur ces questions, l’adjointe au développement durable et à l’environnement (Anne Vignot), celui à l’urbanisme (Nicolas Bodin) et celui à l’eau et à l’assainissement (Christophe Lime) n’en mènent pas large. « C’est une erreur politique majeure », concède le socialiste. « On n’a pas travaillé le sujet de façon assez importante », admet le communiste.

Un bilan d’autant plus difficile à assumer que d’autres difficultés s’invitent dans la campagne. Le quartier de Planoise, au sud-ouest de la ville, a connu pas moins de quatre fusillades depuis le mois de novembre 2019, remettant sur la table le sujet de l’armement des policiers municipaux. Si toutes les parties prenantes de « Besançon par nature » s’y refusent, les événements font les choux gras de la presse – Le Parisien parle d’une « dérive à la marseillaise » – et de l’opposition. Ils mettent aussi en lumière l’incapacité de la majorité sortante, d’où sont issus les candidats, à endiguer les violences, les difficultés de logement et les problèmes sociaux sur fond de trafic de drogue.

« Ce n’est pas en donnant un flingue à un policier municipal qu’on va régler le problème », estime Jo Gosset, d’À gauche citoyens ! « C’est à l’État d’assumer ses fonctions régaliennes », plaide Christophe Lime. Dans ses 50 propositions, la candidate écologiste prévoit aussi de demander à l’État de renforcer la présence des effectifs de police pour lutter contre le grand banditisme, et a annoncé la création d’un commissariat supplémentaire. « Sur ces questions, on nous traite de “Bisounours”, explique-t-elle, mais qu’est-ce qu’une arme, sinon un symbole phallique qui ne rétablira en rien l’ordre ? » Si les sondages disent vrai, elle aura pourtant bientôt la tâche de résoudre ce problème.

(1) Sondage Ipsos/Sopra Steria, effectué du 8 au 11 janvier pour L’Est républicain et France Bleu Besançon.

(2) Voir la carte des luttes contre les grands projets inutiles, publiée dans Reporterre, le 7 janvier 2020.

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