Une loi pour détruire l’enseignement supérieur

Le gouvernement ne cherche-t-il pas à faire face à la croissance des effectifs étudiants à moyens constants ?

Sabina Issehnane  • 26 février 2020
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Une loi pour détruire l’enseignement supérieur
© GUILLAUME SOUVANT / AFP

L’enseignement supérieur et la recherche constituent la nouvelle cible du gouvernement Philippe. Alors que des éléments de l’avant-projet de loi circulent, sans que rien d’officiel ne soit annoncé, trois rapports, publiés en septembre dernier, permettent d’avoir un avant-goût de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche – la LPPR. Un autre rapport, rendu public le 14 février, concernant le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des universités, vient renforcer nos pires inquiétudes. Compte tenu de la poursuite de la croissance des effectifs à l’Université, ces réformes conduiront inéluctablement à l’accroissement des inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur et à la polarisation des établissements.

Alors même que le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche connaît le taux de précaires le plus élevé de la fonction publique d’État (plus du tiers du personnel), il est recommandé de développer des contrats de « mission » pouvant aller jusqu’à 6 ans mais dont la durée est indéfinie. Le gouvernement cherche aussi à imiter le modèle anglo-saxon de tenure track, qui vise à créer une période de probation avant une possible titularisation. Un enseignant-chercheur doit effectuer un service d’enseignement minimum, mais également assurer des tâches administratives – qui n’ont cessé de croître ces dernières années – et poursuivre ses recherches en parallèle. L’introduction de la modulation de services d’enseignement conduira à un accroissement des inégalités parmi les enseignants-chercheurs.

Le gouvernement ne cherche-t-il pas à faire face à la croissance des effectifs étudiants à moyens constants en cantonnant certains enseignants-chercheurs aux seules tâches d’enseignement ? Face au manque de moyens et dans un contexte d’évaluations incessantes, c’est l’autonomie et l’indépendance des enseignants-chercheurs français qui sont mises à mal. Bien que les rémunérations des personnels de la recherche sont sensiblement en-dessous de celles des autres pays membres de l’OCDE, mais également de celles des autres corps équivalents de la fonction publique d’État, il s’agit encore une fois d’instaurer des primes à la « performance ». Rappelons que le crédit impôt recherche, d’un coût de près de 7 milliards par an, perdure, alors même qu’il a montré son inefficacité en termes de financement de la recherche.

Face à la LPPR, les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche – administratifs et techniciens compris – ont de quoi s’inquiéter, mais les étudiants également. Ces derniers verront les moyens se concentrer sur certains établissements, dont l’accès sera de plus en plus difficile, alors que d’autres pâtiront de cette réforme conduisant une partie des étudiants à les délaisser au profit des établissements d’enseignement supérieur privés, dont les effectifs ont presque doublé depuis 2000. Le but inavoué de ce gouvernement est-il de transférer une partie du flux d’étudiants vers ces établissements et d’ouvrir la voie, comme on peut le redouter, à l’augmentation des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur public ?

 Sabina Issehnane Membre des Économistes atterrés.

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