« Femmes d’Argentine », de Juan Solanas : Ode aux victimes

Par le récit de femmes et de familles, le réalisateur révèle les tensions de la société argentine, son rapport au corps féminin et à la religion.

Hugo Boursier  • 10 mars 2020 abonné·es
« Femmes d’Argentine », de Juan Solanas : Ode aux victimes
© Juan Solanas

Après avoir filmé les larges avenues de Buenos Aires où des milliers de femmes défilent au rythme des tambourins, la caméra de Juan Solanas se pose à Humahuaca, une commune logée dans les épaisseurs de la cordillère des Andes, à l’extrême nord-ouest de l’Argentine.

Assise face à l’objectif, Ana, une militante féministe, raconte : « On a trouvé une fille dans une chambre d’hôtel. Morte, saignée à blanc. Elle était enceinte de cinq mois et avait essayé d’avorter avec une aiguille à tricoter. Ce cas m’a montré la nécessité de créer un réseau, ici, partout où nous sommes. »

C’est là toute la qualité du réalisateur argentin, fils du cinéaste Fernando Solanas : montrer – sans jamais revendiquer en tant qu’homme sa médaille féministe –tous ces combats bruyants ou anonymes. Ces malheurs, aussi, quand le silence broie le visage de parents, figé comme celui de leur fille morte à cause du dédain coupable des médecins, et dont on aperçoit un petit portrait au centre d’un autel en arrière-plan.

En Argentine, chaque semaine, une femme perd la vie après un avortement clandestin. Dans la cadence du temps politique, du passage d’un premier projet de loi à la Chambre des députés en juin 2018 jusqu’au Sénat deux mois plus tard, Juan Solanas, qui avait déjà questionné l’avortement avec Nordeste (2004), mêle dans Femmes d’Argentine les histoires personnelles au récit collectif de la lutte des femmes. Mais il n’oublie pas les opposants qui brandissent des crucifix : le religieux est alors bousculé dans ce qu’il a toujours imposé aux corps, à la société, à l’État. Jusqu’au jour où le nombre de mortes est devenu trop insupportable pour être tu, où le fil des résistances passées devait être tiré jusqu’au présent.

« Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler », chante en riant une manifestante au micro. Le renversement paraît alors inéluctable.

Femmes d’Argentine, Juan Solanas, 1 h 26.

Cinéma
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