« On nous demande de fabriquer nos propres masques »

Nouvelle série #lesdéconfinés sur Politis.fr. Le monde est en pause, mais eux continuent de s’activer. En ces temps d’épidémie, découvrez ceux qui ne sont pas confinés. Aujourd’hui Esperanza, aide-soignante dans un hôpital francilien.

Hugo Boursier  • 22 mars 2020
Partager :
« On nous demande de fabriquer nos propres masques »
© Photo : ELYXANDRO CEGARRA / NurPhoto / AFP

Je travaille comme aide-soignante dans un centre hospitalier en Essonne. Pour le moment, on reçoit les patients des hôpitaux de Paris, pour les vider au maximum. Mais on accueille aussi des personnes atteintes du coronavirus. On a mis en place des unités spécialisées avec des sas. On nous demande déjà de faire des journées en plus, mais selon moi on ne va pas tarder à nous réquisitionner. On sent que cette épidémie prend une grande ampleur, avec un pic pressenti pour le dernier week-end de mars.

On ne connaît pas précisément le nombre de cas. Dans mon service, on a plusieurs suspicions et un patient avéré. Le protocole, c’est que l’on teste, s’ils présentent les symptômes habituels – toux, fièvre, problèmes respiratoires –, tous les « patients coronavirus » envoyés par le 15. S’ils n’ont pas de symptômes, on ne les teste pas. Ensuite, ils sont dirigés vers un centre dédié. Quand les hôpitaux parisiens vont être submergés par les cas, on devra les recevoir.

#Lesdéconfinés, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligé de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.

Mais tout cela reste encore bien flou et on a des informations au jour le jour. Beaucoup de soignants ont peur car ils ont eux-mêmes des pathologies cardiaques, ou du diabète. Ils sont donc considérés comme fragiles. Alors on évite, dans la mesure du possible, de les mettre avec des patients atteints de coronavirus, dont le service va être prochainement agrandi. Depuis le début de semaine, les visites sont interdites sauf pour les personnes en fin de vie. Ce n’est pas toujours accepté par les familles, qui ne comprennent pas non plus les consignes du gouvernement.

En ce qui concerne le matériel, on devrait tous travailler avec des masques chirurgicaux. Mais on en a un par jour, ce qui est largement insuffisant puisqu’ils ne servent à rien après quatre heures d’utilisation. C’est de la décoration. On arrive donc souvent sans masques dans des chambres occupées par des patients dont on ne sait pas s’ils ont été testés. Si on s’aperçoit qu’ils ont une toux sèche, des diarrhées ou s’ils sont fébriles, on risque d’être contaminés. Du coup, on nous demande, oralement, de fabriquer nos propres masques avec différents tissus. Les masques FFP2, eux, sont réservés aux patients atteints du Covid-19. Pour les professionnels de santé qui doivent gérer au compte-goutte, c’est vraiment la catastrophe. On nous dit que les stocks vont être réapprovisionnés, mais on ne sait pas quand.

On a eu une suspicion supplémentaire sur une patiente en milieu de semaine. Elle avait tous les symptômes d’une grippe, mais on ne l’a pas testée pour le coronavirus. Parmi le personnel hospitalier, six ont été en contact avec elle. Dont moi. Et on n’avait pas toujours nos masques sur nous. Donc possiblement, je suis infectée, tout comme certains de mes collègues.

J’espère que l’on recevra un dédommagement de tous les risques que nous prenons et qui exposent très fortement notre famille avec cette épidémie. Mais je pense que cette idée va rester à l’état de rêve, malheureusement.

*Le prénom a été changé.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Commission d’enquête Bétharram : « L’État a cassé et sali des enfants par milliers » 
Interview 2 juillet 2025 abonné·es

Commission d’enquête Bétharram : « L’État a cassé et sali des enfants par milliers » 

Le rapport d’enquête sur les violences commises au sein des établissements scolaires réalisé à la suite du scandale de Notre-Dame-de-Betharram a été rendu public, ce mercredi. Politis a demandé à Claire Bourdille, fondatrice du Collectif Enfantiste, de réagir à cette publication.
Par Élise Leclercq
« Noire, musulmane, fille d’ouvriers : c’est de là que j’ai écrit un dictionnaire du féminisme »
La Midinale 2 juillet 2025

« Noire, musulmane, fille d’ouvriers : c’est de là que j’ai écrit un dictionnaire du féminisme »

Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice et autrice du Dictionnaire amoureux du féminisme aux éditions Plon, est l’invitée de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant
Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale
Idées 28 juin 2025 abonné·es

Accélérationnisme : comment l’extrême droite engage une course à la guerre raciale

L’idéologie accélérationniste s’impose comme moteur d’un terrorisme d’ultradroite radicalisé. Portée par une vision apocalyptique et raciale du monde, elle prône l’effondrement du système pour imposer une société blanche.
Par Juliette Heinzlef