La meilleure façon de parler

Notre Voyage autour de nos chambres #14 vous emmène au festival de Montreux, qui a mis en accès libre 50 concerts. Notre choix : Talk Talk, en 1986, un groupe à l’histoire pas comme les autres…

Christophe Kantcheff  • 4 avril 2020
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La meilleure façon de parler
© FABRICE COFFRINI / AFP

Le festival de Montreux ? Une légende. Forgée notamment avec Miles Davis, qui s’y est produit à plusieurs reprises. En cette période de confinement, le Montreux Jazz Festival – c’est son nom officiel – met à disposition 50 concerts en streaming de sa riche histoire, pendant 30 jours (cliquer sur Live At Montreux, puis s’inscrire). Au programme, peu de jazz, à vrai dire. Dès le début des années 1970, la programmation s’est ouverte, au rock en particulier. C’est la dominante des concerts offerts, même si Nina Simone fait partie de la sélection.

Délaissant (honteusement) Marvin Gaye, Johnny Cash, Lou Reed ou Mink DeVille, notre choix se porte sur Talk Talk, le groupe s’étant produit dans la ville suisse en 1986.

Une inflexion de parcours

Faute de goût ? Certainement pour qui n’aurait de ce groupe londonien que le souvenir d’une pop un peu trop facile, mondialement acclamée, voguant sur le courant d’une new wave version consensuelle (comme leurs horribles confrères Duran Duran), calibrée pour les boîtes, où l’on reprenait en chœur en se trémoussant : Such a Shame, leur hit de 1984, avec It’s my Life.

Mais alors, que venait donc faire Talk Talk à Montreux ? Par quel prodige le groupe mené par son chanteur et compositeur, Mark Hollis, s’est-il retrouvé invité dans ce festival prestigieux ? La date n’est pas anodine. 1986 est l’année où sort The Colour Of Spring, un troisième album marquant une inflexion de parcours, malgré Life’s What You Make It, leur ultime titre à entrer dans les charts. Talk Talk commence à abandonner les rivages de la pop commerciale pour une musique plus complexe.

© Politis

Le concert donné à Montreux en témoigne, même si c’est encore timide : outre que la bande de Mark Hollis y offre des versions de leurs morceaux des débuts beaucoup plus intéressantes que sur les albums (exemples : Tomorrow Started, Mirror Man/Does Caroline Now), un titre comme I Don’t Believe In You, extrait de The Colour Of Spring, tranche avec la pop synthétique qui a fait son succès. Le chant de Hollis, en particulier, se rapproche de ce qu’il va devenir : un souffle déchirant, cultivant le retrait et le contretemps.

Un moment charnière

Symboliquement, on pourrait donc marquer ce concert de Montreux comme un moment charnière. À partir de cette date, Talk Talk va déployer un univers musical d’une richesse insoupçonnée, entre improvisations jazzistiques et musique expérimentale, n’oubliant jamais, toutefois, ce qu’il devait au rock. Spirit of Eden (1988) et Laughing Stock (1991) sont des albums grandioses, que les fans du début ne comprennent pas. Talk Talk se sépare peu de temps après. Enfin, Mark Hollis sort un ultime chef-d’œuvre, en 1998, un album solo sobrement intitulé Mark Hollis, avant de se taire définitivement, jusqu’à sa mort survenue à 64 ans en 2019.

Au triomphe avec des tubes calibrés, Mark Hollis et Talk Talk ont préféré tracer leur propre voie, avec tous les risques que cela comportait. Une évolution peu commune…

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Musique
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