Martine Wonner : « Il y a eu un dysfonctionnement du gouvernement »

Exclue du groupe La République en marche en raison de son vote, la semaine dernière, contre le plan de déconfinement du gouvernement, Martine Wonner, membre de l’aile gauche du parti, s’explique sur cette opposition et ses divergences plus anciennes.

Agathe Mercante  • 6 mai 2020
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Martine Wonner : « Il y a eu un dysfonctionnement du gouvernement »
© Photo : Martine Wonner à l'Assemblée nationale en novembre 2017 (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

J e vais passer un mauvais quart d’heure », prédisait-elle dans la matinée. Martine Wonner, la députée de la 4e circonscription du Bas-Rhin a été exclue du groupe parlementaire de La République en marche cet après-midi, au terme d’un entretien (en visioconférence bien-sûr) avec les membres du bureau du groupe. Son tort ? Avoir voté, le 29 avril dernier, contre le plan de déconfinement présenté par le Premier ministre, Édouard Philippe. Avant ce rendez-vous disciplinaire, elle s’en était expliquée à Politis.

Vous êtes la seule de La République en marche à avoir voté contre ce plan, pourquoi ?

Martine Wonner : Parce que c’est un plan qui ne me satisfait pas. Sur le volet sanitaire, il n’est pas du tout adapté à une reprise de l’activité économique et ne permettra pas, selon moi, de protéger la sécurité des Françaises et des Français qui reprendront leur activité. Je comprends qu’il faille relancer l’économie mais il aurait surtout fallu traiter plus tôt les malades du coronavirus. Quant au confinement, cela aurait pu être une excellente mesure mais seulement si l’on avait dépisté les malades. Quand on voit le nombre de décès, qui est d’environ 35 000 – en comptant les personnes mortes chez elles –, on se dit que ce n’était pas une si bonne idée que ça. À cela s’ajoute le refus de l’autorité publique de permettre aux soignants et aux médecins de soigner dans de bonnes conditions. Et pas avec les bons médicaments. En empêchant les médecins de ville de prescrire de l’hydroxychloroquine, par exemple [1].

J’insiste sur l’importance de traiter précocement, cela aurait bien sûr permis de sauver des vies, mais aussi d’empêcher un grand nombre d’hospitalisations. Or, ce qu’il s’est passé, c’est que les hôpitaux ont été complètement débordés. Alors oui, on se félicite que tous ces patients atteints du Covid-19 aient pu être hospitalisés, mais quid des autres patients chroniques qui ont dû renoncer aux soins, aux examens complémentaires, à une prise en charge hospitalière faute de capacités suffisantes ? On voit bien qu’il y a là une gestion vraiment bancale de cette crise avec une insuffisance de protections et de traitements. Or, on reste sur cette stratégie qui n’a pas fait ses preuves, sans ouverture ou sans proposition vers autre chose alors qu’énormément de voies sont à explorer. Le Premier ministre aurait pu, ne serait-ce qu’en introduction sur l’ensemble de cette première phase, revenir sur toutes les errances du gouvernement, il aurait été plus honnête.

Concernant les masques, les tests de dépistage, comment expliquer cette impréparation ?

« Impréparation », le mot est juste. Sauf que les personnes actuellement au pouvoir savent très bien que leurs prédécesseurs avaient justement prévu des plans pour faire face de façon efficace à une pandémie, que ces plans avaient déjà été rédigés et existaient. Or, ils n’ont absolument pas été utilisés. Je pense que le mal français, c’est cette lourdeur administrative et, d’une certaine façon, la mainmise des hauts fonctionnaires de la direction générale de la Santé sur le ministre de la Santé, Olivier Véran et auparavant sur Agnès Buzin, qui m’ont paru être totalement sous sa tutelle. En période normale, il est acceptable qu’il y ait une équipe autour du ministre et qu’il reçoive tous les jours des notes et des orientations, mais en situation de crise ce fonctionnement doit être revu. Comment se fait-il que pour commander des masques et pour accepter la mise sur le marché de tests on ait mis trois voire quatre semaines ? La décision doit être prise dans l’heure.

La Ve République donne tout de même des armes à l’Élysée et à Matignon pour contrecarrer ces lenteurs administratives. N’y a-t-il pas eu un manque de volonté politique ?

Mon analyse, c’est qu’Emmanuel Macron est très seul et fonctionne en binôme avec Alexis Kohler [le secrétaire général de l’Élysée]. C’est lui qui prend 80% des décisions, peut-être même plus, à la place du Président. J’ai l’impression que ça fonctionne comme une entreprise qui va très mal. Nous avons le sentiment d’une espèce de pouvoir éclaté, avec une grande expertise mais qui ne se parle jamais, qui ne va pas dans une dynamique commune vers un objectif à atteindre. Là, l’objectif à atteindre dès le début, c’était la protection d’un maximum de citoyens. On a retrouvé certaines procédures écrites par des agences régionales de santé datées de janvier, qui indiquaient clairement la marche à suivre aux soignants en cas d ‘épidémie de Covid-19, avec un arbre décisionnel. En janvier ! Que s’est-il passé et pourquoi ces procédures-là et ces arbres décisionnels ont-ils été rangés dans les tiroirs ? Parce qu’on avait une échéance électorale. Donc, moi, je m’interroge sur ce choix d’accorder la primauté à cette vie électorale au détriment du bon sens qui était de protéger les Français. Il y a bien eu des hésitations, et c’est là que le président de la République aurait dû prendre pleinement la dimension de ses pouvoirs. Il ne l’a pas fait. C’est à ce moment-là qu’il aurait dû dire « non » et repousser les élections, dont on sait aujourd’hui que le premier tour a contribué à la propagation du virus. C’est un dysfonctionnement du gouvernement. Ensuite, nous avons décrété l’état d’urgence, et je crains qu’on ne se fasse épingler par le Conseil de l’Europe. En France, on a tendance à oublier de le leur signaler…

On oublie aussi parfois de le lever, cet état d’urgence…

C’est clair ! Il continue d’être en application. Quand on a voté le 23 mars pour l’état d’urgence, on a plus que jamais demandé aux parlementaires d’oublier la séparation des pouvoirs. Chez LREM, on nous a clairement dit en réunion de groupe qu’il était hors de question de parler de la crise ou de la gestion de crise autrement qu’en validant à 400% l’action du gouvernement. Cela m’a beaucoup perturbée. S’il y a bien un moment où les parlementaires doivent être extrêmement attentifs, c’est celui-là. C’est à ce moment-là qu’il faut être les garants de la démocratie et surveiller les décisions qui sont prises, car le gouvernement est dans la toute-puissance. Qu’il y ait état d’urgence en période de confinement, oui, mais en le prolongeant on inclut aussi le déconfinement et la relance, obligée, de l’économie. Il faut la relancer, mais surtout pas comme avant, surtout pas n’importe comment, et en continuant d’avoir en tête qu’il faut protéger les Français. J’ai l’impression que dans la tête de certains parlementaires membres de la commission des Finances, on est déjà sûr de l’augmentation du temps de travail, et peut-être même de faire renoncer les salariés inactifs en période de confinement à leurs congés… Mais il faut aussi s’interroger : après tout, si le gouvernement s’était débrouillé un petit mieux dans cette première phase, est-ce qu’on aurait eu autant d’entreprises à l’arrêt ? Est-ce qu’on aurait dû aller aussi loin dans le confinement ?

Loi asile et immigration en 2018, CETA, réforme des retraites, ce n’est pas la première fois que vous tenez une position à rebours de celle de votre groupe. En quoi cette opposition est-elle nouvelle ?

Depuis bientôt trois ans, il m’est arrivé de voter contre des articles mais jamais de voter contre un texte au global. J’aimerais quand même que l’on revienne sur ce qui s’est passé mardi dernier. D’abord, le plan de déconfinement, nous l’avons découvert au moment où le Premier ministre parlait. Ensuite, c’était sous la forme imposée par l’article 50-1. Ce qui veut dire que quel que soit le résultat du vote, le gouvernement en fait ce qu’il veut. On l’a bien vu lundi 4 mai avec les sénateurs, ils ont voté contre le plan de déconfinement, qui a quand même été adopté. Alors mon vote « contre », il apparaît un peu comme un phare au milieu de tout ça. Symboliquement, il est très fort et puis, par la suite, je me suis exprimée pour dire que je ne faisais plus confiance au gouvernement. Sauf que cette fois-là, j’ai l’expertise. Mon expertise médicale [Martine Wonner est psychiatre] me permet d’aller jusqu’au bout, je me sens complètement légitime. La charte de déontologie du groupe, que j’ai relue avant mon entretien, dit qu’on doit voter comme un seul homme mais que s’il y a un champ où nous avons le droit de diverger, il se situe sur les questions d’éthique. Or, il me semble qu’on parle de vie et de mort… Je pense être en complète conformité avec ce qui est écrit noir sur blanc dans ce code.

Est-ce la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?

Au fur et à mesure des lois, mon questionnement était de plus en plus profond. À chaque fois qu’on parlait retraites, asile, immigration, je me disais que je ne maitrisais peut-être pas tout, parce que ce sont des sujets très complexes. Mais cette fois-ci, même si je ne m’explique pas pourquoi la direction générale de la Santé a mis quatre semaines pour envisager de commander les masques ni pourquoi la première commande a été inférieure à deux millions de pièces alors qu’on est quand même 67 millions de Français, je pense comprendre parfaitement ce qu’est un plan épidémiologique de santé. C’était le moment ou jamais d’aller jusqu’au bout de l’expression d’un désaccord, d’un véritable désaccord.

Que voulez porter à l’Assemblée nationale après la crise ?

Le parlementaire d’après-crise doit être plus que jamais attentif à ce que fait le gouvernement, plus que jamais dans son rôle d’évaluation et de contrôle. Durant la commission d’enquête sur la période que nous traversons, qui sera demandée par l’opposition, il faudra être extrêmement attentif à ce que le groupe LREM sera capable de faire. Par ailleurs, même confinés, nous sommes en contact avec nos territoires, avec les élus locaux, nous échangeons des mails, recevons de nombreux coups de fil. Et ces échanges révèlent qu’une bonne partie des citoyens attend autre chose du jour d’après. Pendant le confinement, on a quand même appris à consommer différemment, à privilégier les circuits courts… On a aussi vu à quel point les soignants et tous ces métiers de première ligne sont importants et même fondamentaux. Il va falloir les reconsidérer, leur offrir une vraie revalorisation salariale. Si l’on reprend une vie parlementaire tout à fait normale sans se poser la question de comment on peut pousser à une économie sociale et solidaire, comment on peut pousser le développement durable, comment on peut pousser les questions d’écologie, ça n’ira pas. J’ai, par exemple, regretté que l’amendement que j’avais porté avec Matthieu Orphelin sur le soutien aux entreprises avec en contrepartie un véritable engagement écoresponsable ait été rejeté. Je pense à Air France : porter cette belle entreprise française, c’est génial ; lui donner des milliards, c’est génial ; mais pourquoi l’État n’est-il pas entré au capital, ce qui aurait pu lui permettre d’influer très largement les décisions ? Et là, rien. On balance les milliards sans contrepartie, je trouve ça très choquant.


[1] Martine Wonner est membre du collectif de médecins « #COVID19-laissons les médecins prescrire », qui plaide pour que la liberté de prescription de l’hydroxychloroquine soit rétablie. Elle est également coautrice d’une étude rétrospective menée chez 88 personnes infectées par le SARS-CoV-2, publiée le 30 avril, consultable ici.

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