À Marseille, l’invincible Printemps ?

L’alliance de la gauche, des écologistes et des citoyens, portée par Michèle Rubirola, est en bonne place pour décrocher la mairie. La partie n’a pourtant pas été facile.

Agathe Mercante  • 24 juin 2020
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À Marseille, l’invincible Printemps ?
Michèle Rubirola, candidate du Printemps marseillais, le 15 juin à la friche du Talus.
© Christophe SIMO/AFP

Sur Marseille, il y a bien sûr les vieux clichés : la mer, les verdoyantes collines dépeintes par Marcel Pagnol, les habitants chaleureux buvant une mauresque à la terrasse d’un café battue par les bourrasques du mistral. Ce lundi 15 juin, quand Yannick Jadot arrive à la gare Saint-Charles, accueilli par la candidate du Printemps marseillais, Michèle Rubirola, tout concorde à les entretenir. Soleil, vent et mer azur sont au rendez-vous. Voilà pour la carte postale. Car, à Marseille, il y a la réalité : les bâtiments vétustes du centre-ville, le trafic routier, des embouteillages tels qu’il nous faudra plus d’une demi-heure pour faire les quelques kilomètres qui séparent la gare du Talus, une friche reconvertie en site d’agriculture urbaine, dans le XIIe arrondissement, première étape de la visite expresse de l’eurodéputé écologiste.

À Marseille il y a aussi un rêve, au départ un peu fou : celui de reprendre la ville à la droite clientéliste qui la dirige depuis vingt-cinq ans. Ce rêve est celui des membres du Printemps marseillais. La formation d’union des gauches, de quelques écologistes, d’une poignée de citoyens, et dont la dissidente EELV Michèle Rubirola est tête de liste, est sortie première lors du premier tour des élections municipales, le 15 mars dernier (23,44 %). Elle pourrait bien ravir, dimanche 28 juin, la victoire à la liste de droite portée par l’héritière désignée de Jean-Claude Gaudin, Martine Vassal.

Ce lundi 15 juin, la presse locale n’a d’yeux que pour les membres du Printemps marseillais, auxquels elle demande de réagir à une affaire qui secoue la ville depuis le début du week-end : le parquet de Marseille a ouvert une enquête préliminaire sur des soupçons de fraude aux votes par procuration. Martine Vassal et son équipe auraient proposé à des électeurs d’avoir recours à des procurations « simplifiées » sans avoir à se déplacer, « juste par téléphone », ce qu’interdit la loi. Benoît Payan, socialiste, tête de liste dans le secteur des IIe et IIIe arrondissements et porte-parole du Printemps marseillais, répète, devant caméras et micros : « Nous avons déjà épluché 4 595 procurations – oui, 4595 – pour vérifier qu’il n’y a pas eu d’irrégularités. »

Une petite troupe, composée de colistiers, de journalistes venus de Paris et de bénévoles du Talus, suit la délégation politique, Michèle Rubirola, Yannick Jadot et Sébastien Barles en tête. « Ce n’est pas Jadot qui a convaincu Barles de faire cavalier seul au premier tour ? » ironise une voix, discrète, dans le rang. Sébastien Barles, le candidat « légitime » d’Europe Écologie-Les Verts, s’est en effet présenté au premier tour (8,9 %), avant de rejoindre la coalition pour le second.

Ces derniers jours, Marseille et son « Printemps » ont fait l’objet de toutes les attentions des personnalités politiques. Éric Piolle, le maire de Grenoble, leur a rendu visite le 11 juin ; Yannick Jadot le 15 juin ; le secrétaire national d’EELV, Julien Bayou, et le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, le 22 juin. Jean-Luc Mélenchon, fondateur de La France insoumise, coprésident du groupe à l’Assemblée nationale et député du cru, a passé le week-end précédent dans la ville. S’il n’a pas officiellement rencontré les membres du Printemps marseillais, il a toutefois répété à maintes reprises qu’il leur apportait son soutien. Tout le gratin politique se presse donc à Marseille pour soutenir la liste d’alliance et la hisser en exemple à suivre ailleurs en France et, pourquoi pas, à l’échelle nationale. Mais comparaison n’est pas raison. Et si le Printemps marseillais a acquis, électoralement tout du moins, ses galons, sa création s’est faite dans la douleur.

Des drames déclencheurs

« Douleur », parce que Marseille est une ville en souffrance. Cernée par des collines dont seules deux trouées (l’une au nord, l’autre au sud-est) permettent de rejoindre l’arrière-pays, la ville est tournée vers la mer et vers son port, dont elle tire l’essentiel de ses revenus. L’essentiel, aussi, des substances qui les polluent. « Les paquebots des croisiéristes qui mouillent dans le port rejettent l’équivalent en CO2d’un million de voitures », rappelle Benoît Payan. Sous-équipée en matière de transports collectifs (seulement deux lignes de métro), la ville est la deuxième plus embouteillée de France (1). Des immeubles, dans certains quartiers, menacent de s’effondrer. Le 5 novembre 2018, deux l’ont fait, rue -d’Aubagne, en centre-ville, faisant huit morts (2).

À ce drame, qui a mis en lumière les graves dysfonctionnements de la municipalité et de la métropole – toutes deux tenues par la droite et Jean-Claude Gaudin –, est venu s’ajouter celui, pas si différent, de la vétusté des écoles de la ville. « La honte de la République », titrait Libération en 2016. Pour y remédier et les rénover, l’administration de Jean-Claude Gaudin a résolu d’avoir recours à un partenariat public-privé ! Une privatisation des écoles, donc. Une première en France et un monumental tollé. Lequel a conduit à la création du collectif « Marseille contre les PPP », composé d’architectes, de la CGT, de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), de SUD, de l’Unsa… « Ce choix de privatiser l’école a mis tout le monde d’accord », explique-t-on dans l’entourage de Benoît Payan.

C’est sur la base de ces mouvements, rassemblant citoyens, corps intermédiaires et politiques, que l’idée de s’allier pour reprendre la mairie est née. Le 18 octobre 2019, à l’appel des collectifs citoyens « Mad Mars », « Marseille et moi » et « Réinventer la gauche », naît le « Mouvement sans précédent », une coalition aussi vaste qu’hétéroclite qui posera les bases du futur Printemps marseillais. Poussées par la société, les structures partisanes n’ont eu d’autre choix que de sortir de leur habitus clanique. « À un moment, dans une ville sinistrée, on se rend compte qu’on ne peut plus jouer les cartes partisanes », estime Jean-Marc Coppola, communiste et tête de liste du Printemps marseillais dans les XVe et XVIe arrondissements. Mais, si la direction nationale du PCF a d’emblée donné son aval aux élus communistes pour faire l’union, il n’en a pas été de même pour tous.

Contre vents, marées et directions nationales

« Douleur », ensuite, pour les membres du Printemps marseillais, pour faire accepter le projet aux appareils politiques nationaux. « On a ramé », se souvient Sophie Camard, tête de liste dans les Ier et VIIe arrondissements et suppléante du député Mélenchon. Dans sa permanence de campagne, à deux pas de l’opéra, elle raconte les discussions avec le comité LFI local, les dissensions, déjà connues à l’échelle nationale, entre les tenants d’une alliance à gauche et les défenseurs d’une « fédération populaire », loin des appareils et de « la soupe de logos » ; la scission du groupe, dont une partie a monté sa propre liste dans les XIIIe et XIVe arrondissements. « On nous a reproché de faire alliance avec le PS, alors que le PS, maintenant, c’est Benoît Payan, pas les Guérini », rappelle-t-elle.

Le chef de file des socialistes marseillais, élu de l’opposition, était pourtant pressenti pour mener le mouvement et s’asseoir, en cas de victoire, sur le siège de maire. Face à la vive opposition des autres partis, il a dû se désister en faveur de Michèle Rubirola, provoquant l’ire de certains militants et cadres locaux. « C’est aussi ça, la politique », soupire un socialiste du cru. « C’était violent », confie un écologiste. Les tenants de l’union chez EELV ont dû faire le choix de la dissidence, Michèle Rubirola en tête. Ce 15 juin, les haches de guerre entre écologistes, Insoumis, socialistes et leurs directions nationales semblent enterrées. « Oui, on dit ça parce qu’on est en bonne position pour gagner, tempère Sophie Camard. Si on avait perdu, on se serait tous fait couper la tête ! »

Un programme local

« Douleur », enfin, parce qu’à Marseille, comme ailleurs, la campagne est longue – confinement oblige – et rude. Martine Vassal, désormais empêtrée dans les affaires judiciaires, ne retient plus ses coups. L’héritière de Jean-Claude Gaudin brandit à tout va le « péril rouge », promettant aux Marseillais les chars soviétiques sur la Canebière, le Venezuela et « le déclin » de la ville en cas de victoire du Printemps marseillais. Une campagne « de caniveau », selon les mots de Benoît Payan, qui fait plus rire que pleurer les équipes du -Printemps marseillais. Car Martine Vassal n’est pas la seule avec qui les colistiers de Michèle Rubirola ont maille à partir. Au nord de la ville, le frontiste Stéphane Ravier campe en embuscade et, dans le 8e secteur, la sénatrice Samia Ghali laisse planer le doute sur son vote au « troisième tour », celui où le conseil municipal désignera son ou sa maire.

Seule oasis de douceur pour les membres du Printemps marseillais, leur programme. « Nous étions tous d’accord », explique Pierre Uguet, le coprésident de Génération·s à Marseille. En cas de victoire, le mouvement s’engage notamment à établir un plan d’investissement de 1 milliard d’euros « pour la construction et la rénovation des écoles », à faire du logement une « grande cause municipale », à lutter « contre la grande pauvreté », à doubler l’offre de transports publics et à valoriser l’agriculture urbaine. Du 100 % Marseille, en somme.

Durant notre entretien, le téléphone de Sophie Camard sonne, elle décroche et sourit : « Nous avons les résultats d’un sondage de La Provence (3), Michèle Rubirola devance Martine Vassal de 7 points ! », nous indique-t-elle, enthousiaste. Mais si la victoire est possible, elle est aussi très locale. Au sein du Printemps marseillais, tous mettent en garde : il est difficile d’exporter ce type d’alliance à l’échelle nationale. « Je n’ai pas envie que l’on soit un modèle pour la France, mais pour Marseille », prévient Benoît Payan. Faisons-en alors un modèle, pour les antennes nationales des partis, d’un projet centré sur les problèmes des citoyens, loin des considérations partisanes.

(1) « Traffic Index », 2019.

(2) Voir Politis nos 1527, 1540 et 1553.

(3) Sondage Ifop-Fiducial, donnant Michèle Rubirola en tête du deuxième tour des municipales à Marseille avec 36 %, devant Martine Vassal (29 %) et Stéphane Ravier (22 %).

Politique
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