Consternante monarchie républicaine

Si Macron peut tenir pour négligeables les municipales, c’est qu’il fait le pari que la gauche sera incapable de convertir ses succès en construisant une candidature nationale. Il parie que l’exemple de Marseille ne deviendra pas un modèle.

Denis Sieffert  • 8 juillet 2020
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Consternante monarchie républicaine
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Quand la reine d’Angleterre sort de Buckingham en carrosse et grand tralala, au moins les choses sont claires : on sait que l’on va voir un film d’époque. Mais quand on voit le ballet des limousines noires entrer et sortir de l’Élysée ou de Matignon, on peut se méprendre. On pourrait se croire en 2020. Erreur. Nous sommes toujours en pleine monarchie républicaine, quand le général de Gaulle eut, après son illustre prédécesseur Louis-Napoléon Bonaparte, l’idée de faire élire le président des Français au suffrage universel. La France a-t-elle si peu changé depuis soixante ans, pour que notre destin collectif, notre vie sociale et le sort de la planète en soient encore à dépendre de l’ambition d’un homme ? Car comment ne pas voir que ce remaniement, qui a donné lieu à tant de supputations, ne répond finalement qu’à un seul impératif : la réélection d’Emmanuel Macron ? Notre rituel républicain est parfois plus suranné que le carrosse de Buckingham. Il a fallu pour ça écarter un Premier ministre qui commençait à lui faire de l’ombre, en choisir un autre pour son effacement, et parce que sa nomination embarrassera un concurrent potentiel – le menaçant Xavier Bertrand. Et former un gouvernement peau de chagrin entièrement à sa dévotion. Tout est guidé par la nécessité électorale d’aller chasser à droite. Le « en même temps à droite et à gauche » se termine lamentablement dans le jardin de Nicolas Sarkozy. Je ne dis pas que Macron n’aurait pas aimé pêcher un gros poisson socialiste pour crédibiliser son entreprise, mais la fonction d’alibi n’a plus d’avenir, et le poisson n’a pas mordu. Seule Ségolène Royal a tourné autour de l’hameçon avec gourmandise.

Macron a donc dû se contenter d’un « coup de com » avec la nomination inattendue à la Justice d’Éric Dupont-Moretti, avocat, comédien, écrivain, et icône des médias. Ambition, quand tu nous tiens… Il n’est pas sûr que le personnage, en conflit avec les magistrats, et critique sévère de la place Beauvau, ne se révèle pas très vite encombrant. À part ça, quoi ? Darmanin, un sarkozyste à l’Intérieur pour plaire aux syndicats de policiers ; Bachelot, une sarkozyste (sympathique) à la Culture ; et un jeu de chaises musicales dont il n’est pas nécessaire d’encombrer ces lignes. Ce qui nous amène à cette grande question : qui se souvient qu’à peine huit jours avant la formation de ce gouvernement l’écologie avait été plébiscitée par nos concitoyens ? Qui se souvient que Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble, Poitiers sont tombées dans l’escarcelle des écologistes, le plus souvent à la tête de coalitions de gauche ? Qui se souvient que nous sommes confrontés à une urgence climatique aussi existentielle que contraire aux lois du capitalisme ? Lundi, Emmanuel Macron a fait comme si ce scrutin municipal n’avait jamais existé. La démocratie, ce n’est pas plus compliqué qu’un coup d’éponge magique !

Le résultat de cette amnésie gouvernementale a abouti lundi à la nomination de Barbara Pompili, lointaine transfuge des Verts qui hérite du portefeuille de l’écologie. Gageons qu’elle remplacera davantage François de Rugy que Nicolas Hulot. Voilà l’écologie certes haut placée dans la hiérarchie gouvernementale, mais remise à sa modeste place dans l’ordre des priorités politiciennes, et perdue dans un océan libéral. En revanche, Emmanuel Macron d’abord, Jean Castex ensuite se sont empressés de remettre sur la table la réforme des retraites. Là encore, la mémoire est défaillante. Même le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, demande pitié. Imagine-t-on la relance d’un conflit social sur notre économie dévastée ? Mais l’essentiel, c’est le message. Macron veut être, en 2022, le candidat de la droite, avec un programme de droite et un gouvernement de droite. C’est à lui et lui seul que doit revenir la mission de repousser une fois encore les assauts de l’extrême droite. Inutile de dire que, dans ce schéma, les promesses du « plus rien ne sera comme avant » ont, elles aussi, été oubliées.

Les événements de ces dix derniers jours devraient interpeller la gauche. Si Macron peut tenir pour négligeables les municipales, c’est qu’il fait le pari que la gauche sera incapable de convertir ses succès en construisant une candidature nationale. Il parie que l’exemple de Marseille ne deviendra pas un modèle. Il est convaincu que l’institution présidentielle, qui lui convient si bien – même s’il flotte un peu dans le costume – agira comme un poison chez ses adversaires de gauche. Il n’a peut-être pas tort. On croit déjà avoir compris que la belle union citoyenne de Marseille n’avait pas trop plu à Mélenchon, ni enthousiasmé Jadot. L’un et l’autre faisant profession de détester cette élection présidentielle si monarchique, mais ne dédaignant pas (litote) de jouer le jeu de l’homme providentiel. Finalement, Emmanuel Macron espère pouvoir mener sa petite affaire en toute tranquillité. Heureusement, il y a toujours l’imprévu, pas forcément aussi maléfique qu’un virus. Ce peut être parfois un mouvement social.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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