#Déboulonnable, Bugeaud ? : « Exterminez-les jusqu’au dernier »

Politis questionne des « grandes » figures de l’histoire liées à la colonisation. Aujourd’hui, le général Bugeaud, « père de l’agriculture moderne » et… « pacificateur » de l’Algérie.

Nadia Sweeny  • 3 juillet 2020 abonné·es
#Déboulonnable, Bugeaud ? : « Exterminez-les jusqu’au dernier »
Le général Bugeaud sur une place de Périgueux portant son nom.
© Abxbay/Wikimedia commons

Avant de devenir le « héros » de la conquête algérienne, Thomas Robert Bugeaud (1784-1849) est un noble de Limoges (Haute-Vienne). Devenu général, il est envoyé en 1836 en Algérie pour mater la résistance à la colonisation française, menée par l’émir Abdelkader. Pour y parvenir, Bugeaud se fait le chantre de la terre brûlée et soumet la population par des razzias, enfumades, pillages, viols collectifs… « Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter […]_. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes_ […]_, ou bien exterminez-les jusqu’au dernier »,_ déclare-t-il à ses troupes.

Les monuments, les noms donnés aux rues ne sont pas un livre d’histoire, ils sont des choix, et des honneurs publics délivrés en fonction d’enjeux politiques et du regard de la société d’une époque donnée. Non, les partisans du déboulonnage de certaines statues ne veulent pas « effacer » des noms de l’histoire du pays. C'est même l’inverse : en parler, mais en n’omettant rien de l’« œuvre » des honorés. Il est sain que le pays questionne son histoire, notamment coloniale, et les statues ne sont que la partie émergée de cet iceberg. Politis a choisi de retoucher le portrait de quelques « figures nationales ».
Grâce à ses « victoires », Bugeaud devient gouverneur général de l’Algérie en 1840. Il est secondé par des subordonnés, dont le ­lieutenant-colonel Aimable Pélissier, qui appliquent à la lettre ses directives. Entre le 18 et le 20 juin 1845, la « colonne Pélissier » asphyxie toute une tribu qui avait trouvé refuge dans des grottes, où périssent un millier d’hommes, de femmes et d’enfants.

Dans le « récit national », Bugeaud reste un « grand homme ». Pendant la guerre d’Algérie, une promotion de l’École militaire de Saint-Cyr a porté son nom. Un monument dédié à sa mémoire, érigé à Alger en août 1852, fut rapatrié en 1962 et installé dans le village d’Excideuil (Dordogne), où Bugeaud est célébré comme le « père de l’agriculture moderne », pour son engagement dans la création des chambres d’agriculture (1). En 1999, le maire PS de cette commune, Arnaud Le Guay, décrète même l’« année Bugeaud ». En 2008, la mairie célèbre encore ­ « Bugeaud le soldat laboureur ». Dans le document municipal, l’expérience algérienne du maréchal est quelque peu « révisée » : _« Bugeaud est envoyé en Algérie pour commander les troupes françaises qui luttent contre les guerriers d’Abdelkader. Il y remporta les nombreuses victoires qui le rendirent célèbre, mais encouragea aussi les autochtones à l’agriculture. Il fit pousser des arbres fruitiers (dont des mûriers) et traça de nombreuses routes pour moderniser le pays. Il en retira un profond respect de ses hommes et des Algériens. »

À Périgueux, une belle place lui est dédiée avec, au centre, une grande statue – depuis 2017, des habitants militent pour son déboulonnage. Des rues portent son nom à Lyon, à Marseille, ainsi qu’une école dans le quartier très populaire de la Belle de Mai. À Paris, le très chic XVIe arrondissement a son avenue Bugeaud, et un de ses bustes se niche toujours dans la façade du Louvre.

(1) Il possédait un domaine dans le Périgord, consacré au travail de la terre et à l’élevage.

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