Les Verts au pied de la montagne

Au centre du jeu depuis les grandes villes gagnées en juin, EELV s’attelle à rassembler pour affronter les échéances électorales. Quel programme, quel projet, quelles figures pour l’incarner ?

Agathe Mercante  • 26 août 2020 abonné·es
Les Verts au pied de la montagne
Lors des Journées d’été des écologistes à la Cité fertile à Pantin, les 20, 21 et 22 août.
© ALAIN JOCARD/AFP

Masqué·es, les inter-venant·es sont plus difficilement reconnaissables. Assise à une table de bois brut, la députée européenne Europe Écologie-Les Verts Karima Delli discute à bâtons rompus avec Guillaume Balas, l’un des fondateurs du mouvement Génération·s. David Cormand et Delphine Batho s’affichent à proximité de la buvette, où l’on distribue Fakir, le journal de François Ruffin. Tout autour de l’espace central, sous les paillotes de la Cité fertile – un tiers-lieu installé sur d’anciennes friches SNCF à Pantin –, les représentant·es et des militant·es de la plupart des partis incarnant l’écologie politique échangent, pêle-mêle, sans se soucier des chapelles. Au lendemain des élections municipales qui ont fait tomber dans l’escarcelle verte les villes de Lyon, Marseille, Bordeaux, Poitiers, Besançon ou encore Strasbourg, les écologistes de tout poil affichent à leurs premières journées d’été communes une unité rafraîchissante – et nécessaire en ces journées caniculaires des 20, 21 et 22 août.

« C’est historique », répètent à l’envi Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, Delphine Batho, présidente de Génération Écologie, Claire Monod, cosecrétaire générale de Génération·s et les représentants des trois autres groupes coorganisant l’événement : Mouvement des progressistes, Alliance écologiste indépendante ou encore Cap 21. Mais c’est aussi un peu long ! Comme la conférence de presse de présentation du rassemblement, le mercredi 19 août, où chacun, tour à tour, a pris la parole. « Ça ressemblait un peu à l’émission “l’École des fans” », s’amuse une militante. Dans l’amphithéâtre ou sous de vastes auvents, les ateliers se succèdent : gestion municipale, société de consommation, télécommunications, 5G, dette, condition animale, nucléaire, écoféminisme, transports… « On retrouve un vocable commun », se félicite un adhérent de Génération·s. Julien Bayou et Sandra Regol, respectivement numéros 1 et 2 d’EELV, ne cachent pas leur satisfaction. Et l’arrivée surprise du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, pour débattre et s’expliquer sur ses propos – il avait notamment, dans la préface du livre du président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, qualifié les écologistes d’« ayatollahs » – ne suffit pas à gâcher l’ambiance. Si un ministre vient débattre, n’est-ce pas leur accorder un statut d’opposants crédibles ?

Rentrée chargée

La France insoumise : plutôt « solo » que « soupe de logos »

À 500 kilomètres au sud de Pantin, les insoumis avaient choisi le cadre bucolique de la Drôme, aux abords de Valence, pour organiser la 4e édition de leurs « Amfis » d’été. Durant les 20, 21, 22 et 23 août, des dizaines d’invités venus de divers partis et incarnant des combats très différents ont participé à ces journées. Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, a été accueilli à bras ouverts, tout comme l’écologiste Éric Piolle, reçu comme un « ami » par Jean-Luc Mélenchon et arrivé d’Île-de-France par bus de nuit. Une manière, pour le parti, de montrer patte blanche et d’entrouvrir la porte. Ouverture oui, mais pas adhésion. Le fondateur de La France insoumise s’est livré, dans un discours fleuve de près de deux heures, à l’apologie de l’écologie politique, pas à celle d’Europe Écologie-Les Verts ; et a maintenu sa proposition de fédération populaire autour de la société civile. Quant à savoir si La France insoumise serait prête à discuter pour nouer des alliances politiques, le tribun a rappelé que les « sept millions d’électeurs [qui] ont voté pour ce programme [l’avenir en commun] » en 2017 devaient être respectés. Jean-Luc Mélenchon a réservé sa décision de concourir pour une troisième fois à l’élection suprême au mois d’octobre. Un faux suspens.

Mais derrière l’apparente détente qui se dégage des Journée d’été des écologistes (JDE), les partis organisateurs ont un programme plus que chargé pour les mois à venir, tant sur le plan social qu’électoral : rentrée qui promet d’être agitée, élections sénatoriales le 27 septembre, élections départementales et régionales en mars 2021, présidentielle et législatives en 2022… « On ne peut pas se laisser porter par la vague verte qui vient de déferler sur les villes, il faut aller plus loin », s’inquiète un participant.

Une préoccupation d’autant plus justifiée qu’en matière de représentation nationale les écologistes présents à Pantin sont un peu à la traîne. S’ils ont quelques élus au Sénat et à l’Assemblée nationale, aucun des partis ne dispose d’un groupe parlementaire – exception faite du groupe Écologie, démocratie, solidarité, où siège Delphine Batho, mais dont la majorité des membres sont issus de La République en marche… Le renouvellement du Sénat pourrait toutefois changer la donne. Avec la vague de conseillers municipaux acquis à l’écologie politique, les grands électeurs pourraient bien glisser un bulletin vert au mois de septembre. « Nous serions un groupe qui contrôle l’exécutif, propose des lois, les amendes… bref, un groupe d’opposition actif », dit Esther Benbassa, sénatrice EELV de Paris. Mais, pour l’heure, rien n’est acquis et toute l’action publique repose sur les épaules des maires et des eurodéputé·es. « Par l’écologie, nous offrons une autre voie, celle de la résilience, celle d’une relance économique au service de la planète », indiquaient les élus locaux dans une tribune publiée le 22 août, jour du dépassement planétaire (1). Éric Piolle se félicite d’avoir été rejoint, lui qui est maire de Grenoble depuis 2014, par d’autres édiles. « Nous avons la capacité à mettre en œuvre des projets », explique-t-il, le visage caché sous un masque à motifs coquelicots. « On n’a pas attendu François Bayrou pour faire de la prospective », abonde la présidente de la commission du Transport et du Tourisme du Parlement européen, Karima Delli. Mais pour continuer à surfer sur les victoires, il va falloir, pour les écologistes, s’atteler à renforcer les liens avec les partis frères, élargir ce rassemblement aux autres partis issus de la gauche et proposer un programme sur lequel pourraient reposer de futures alliances au plus vite.

Format à définir

La conférence de presse de présentation des Journées d’été en témoigne, avancer avec un attelage aussi hétéroclite demande du temps. Et si EELV peut se targuer d’être le parti le plus important, ses membres assurent ne pas souhaiter assumer le leadership du rassemblement. « On a assez souffert avec le “grand frère” [comprendre : le PS] pour reproduire les mêmes erreurs », affirme Sophie Nicklaus, secrétaire régionale EELV d’Île-de-France. Au-delà de toute prétention hégémonique, il s’agit aussi, pour les tenants d’un rapprochement, de trouver des points de rencontre entre des imaginaires qui peuvent parfois s’opposer. « En matière de féminisme, par exemple, certains sont un peu en retard », constate la secrétaire régionale. Et l’arrivée de Génération·s risque d’encore compliquer les choses. La formation, née en 2017 du départ de Benoît Hamon du PS, revendique 6 000 adhérents, à peine moins qu’EELV (10 000). Et ses cadres ne cachent pas leurs attentes : « Génération·s, ce n’est pas un coup d’un soir pour EELV, c’est une relation longue », plaisante Benjamin Lucas, son porte-parole. Et qui dit relation sérieuse dit aussi compromis. « Nous ne sommes pas à EELV ce que le PRG est au Parti socialiste », prévient-il. Pas question d’envisager une fusion entre les deux partis. Alors quoi ? Une fédération ? Un mouvement ? Le format de ces rapprochements demande encore à être précisé. « Il y a quarante ans, on aurait parlé d’un parti de masse », avance Benjamin Lucas. Pour l’heure, les écologistes préfèrent le terme de « maison commune », incluant aussi les partis de gauche convertis à l’écologie politique. Le PS, le Parti communiste et La France insoumise (lire encadré) manquent encore à l’appel. De quoi morceler pour quelque temps encore l’« arc humaniste » souhaité par le maire de Grenoble. La porte n’est toutefois pas fermée, mais les partis, forts d’une hégémonie ancienne ou de 19,6 % des suffrages à l’élection présidentielle de 2017 ont, eux aussi, leurs exigences. « Il faut travailler sur la base d’un programme, pas sur un candidat », nous expliquait avant l’été le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. « L’unité pour l’unité ne peut pas fonctionner. Il faut fédérer autour d’un programme », répond quant à lui Adrien Quatennens, coordinateur de LFI (2).

Programme à construire

Divers et riches, les échanges autour des ateliers des journées d’été ne suffisent pas à dessiner l’ébauche d’un programme. « C’est un peu tiède, non ? », raille un adhérent d’EELV. Et quand on le demande, ce fameux programme, c’est le silence. « Personne ne veut prendre le risque d’annoncer quoi que ce soit sans avoir consulté tous les autres », constate un élu vert. « La base, c’est de se déclarer antilibéral, écologiste et de gauche », avance une militante de Génération·s. Laïcité, insécurité, police, économie… La liste des sujets sur lesquels les écologistes ne s’expriment pas, ou peu, est longue. « L’arrivée d’une partie de la gauche plus traditionnelle à la table des discussions peut apporter des éléments sur l’éducation, le rapport à la République, le régalien », estime Sophie Taillé-Polian, sénatrice de Génération·s. Outre un élargissement idéologique, EELV et ses alliés écologistes devront aussi s’ouvrir aux électeurs. « Durant les élections municipales, on a parlé aux moyennes et grandes villes, maintenant, il faut s’adresser aux zones périurbaines et au monde rural », explique Thomas Dossus, conseiller métropolitain du Grand Lyon.

Par chance, l’exécutif français offre à ces formations un sujet de consensus. Samedi 22 août, elles s’étaient réunies dans l’une des salles de la Cité fertile pour lancer un appel à de vastes alliances dans la perspective des élections régionales. « Force est de constater que les forces politiques au pouvoir sont incapables de prendre la mesure du changement à opérer », peut-on lire dans l’appel. « On voit bien que le président de la République est dans une impasse, énonce Éric Piolle. Après le mouvement des gilets jaunes, il nous a dit “j’ai changé”, et boum ! Il y a eu la réforme des retraites et une tentative de passage par le 49.3. Ensuite, il y a eu la crise du Covid-19 et il a dit “plus rien ne sera comme avant”, et boum ! Ça recommence. »

Régionales certes, mais certains – dont le maire de Grenoble – se voient déjà dans l’après… Et il n’est pas le seul. « L’écologie politique doit avoir sa candidature et lancer la construction de son projet avant le mois de janvier », a lancé dans Libération, en préambule des journées d’été, Yannick Jadot (3). Le député européen s’est vu opposer une fin de non-recevoir par Julien Bayou : « On me parle “désignation”, moi je parle projet », a-t-il affirmé dans son discours d’inauguration. Et tout porte à croire que d’autres candidat·es fourbissent leurs armes pour se lancer dans la campagne interne. Tant en matière de désignation qu’en matière de projet, pour l’heure, la famille écologiste n’est pas très avancée. La route vers les sommets de l’État s’annonce longue et semée d’embûches.

(1) « Nous pouvons encore inverser la courbe de la destruction de nos écosystèmes », 19 maires et présidents de métropoles écologistes, Le Monde, 22 août.

(2) Libération, 20 août.

(3) Libération, 19 août.

Politique
Temps de lecture : 9 minutes

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