« Ne rien laisser passer »

La fustigation des « sauvageons » est un classique de la réaction. Ici, elle dissimule une menterie supplémentaire.

Sébastien Fontenelle  • 26 août 2020 abonné·es
« Ne rien laisser passer »
© Alain JOCARD/AFP

Au mitan de l’été, et juste après avoir, quelques jours plus tôt, renouvelé sa pleine « confiance » au préfet de police Lallement – sous qui tant de manifestant·es furent violenté·es l’année passée –, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a proclamé dans un entretien accordé au Figaro (1) qu’il voulait « stopper l’ensauvagement d’une certaine partie de la société » et qu’il ambitionnait de « réaffirmer l’autorité de l’État » et de « ne rien laisser passer » en matière de criminalité ou de délinquance.

Cette phraséologie délirante n’est pas complètement neuve : la fustigation des « sauvageons » compte depuis de longues décennies au nombre des classiques du répertoire de la réaction. Ici, elle dissimule – si peu – une menterie supplémentaire, et d’autant plus effrontée qu’elle est proférée par l’un de ces êtres à qui les cafarderies viennent aussi naturellement que la respiration : les macronistes.

Car dans la vraie vie, lorsqu’un élu (2) déjà éclaboussé par ce qu’il est convenu d’appeler l’« affaire Matzneff » est poussé à la démission par la révélation qu’il a offert des repas payés par les contribuables parisien·nes à cet écrivain pédophile poursuivi pour viols sur mineur de moins de 15 ans, le préfet de police Lallement, loin de ne rien laisser passer, se montre au contraire aussi coulant qu’un camembert de vingt ans d’âge. Toute vergogne bue, il adresse plutôt un vibrant hommage « républicain » à cet « homme » dont il salue l’admirable « dignité ». (Puis le fait même ovationner par une « gauche » parisienne dont la honte n’éblouit donc nullement les yeux.)

Et lorsque Gérald Darmanin lui-même, ministre de l’Action et des Comptes publics, est visé par une plainte pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance déposée par l’une de ses anciennes administrées, qui l’accuse de lui avoir imposé une relation sexuelle en échange d’un service, il n’est pas question non plus de « ne rien laisser passer ». Tout au contraire, l’intéressé, qui n’a pas même été confronté à la plaignante, bénéficie du plein soutien du chef de l’État : Emmanuel Macron lui fait l’insigne grâce de lui confier le ministère de l’Intérieur sans attendre la fin de l’enquête sur les accusations qui le visent, rouverte en juin 2020 à la demande de la cour d’appel de Paris.

Mais il est vrai qu’il n’est pas non plus complètement inédit que la réaffirmation de l’autorité de l’État passe par le piétinement rageur de celle de la justice.

(1) Journal qui publie toutes les semaines la prose d’un propagandiste condamné pour incitation à la haine raciale ou religieuse.

(2) Cet élu fait aujourd’hui, d’autre part, l’objet d’une plainte pour viol qui a donné lieu, la semaine dernière, à l’ouverture d’une enquête. Pour avoir dénoncé avec Raphaëlle Rémy-Leleu la complaisance dont il bénéficiait, Alice Coffin, conseillère de Paris, a été traînée dans la boue et a dû être placée sous protection policière. Au jour où ces lignes sont écrites, les journalistes et les politicien·nes qui l’ont agonie ne lui ont toujours pas présenté d’excuses publiques.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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