Une nouvelle intervention de la BCE est inévitable

Rien n’interdit à la BCE, dans ses statuts, d’annuler une partie des dettes des États.

Liêm Hoang-Ngoc  • 2 septembre 2020
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Une nouvelle intervention de la BCE est inévitable
© FRANK RUMPENHORST / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

L’initiative européenne de cet été en faveur de l’émission d’une dette commune, finançant des dépenses communes, constitue un tournant dans l’approche communautaire de la gestion des chocs asymétriques et des crises. Le plan de 390 milliards d’euros (plus 360 milliards de prêts) décidé lors du Conseil européen des 17 au 21 juillet s’avère néanmoins limité. Le Parlement européen avait chiffré à 2 000 milliards d’euros la somme nécessaire pour financer la relance dans le cadre d’un pacte vert. De surcroît, une capacité budgétaire permanente et substantielle de la zone euro, financée par de nouvelles ressources propres, reste pour l’heure hypothétique et nécessite une modification des traités.

Bien qu’elle ne le déclare pas publiquement, la Banque centrale européenne (BCE) est inévitablement appelée à amplifier son action pour soulager les États. Ses statuts lui interdisent de monétiser les dettes publiques. Elle n’est pas autorisée à acheter des titres sur le marché primaire. Elle ne peut donc souscrire une quelconque dette perpétuelle à taux zéro qui serait émise par un État, comme le suggèrent certains… Cela reviendrait concrètement à financer directement la dépense publique par la planche à billets, puisque le principe d’une dette perpétuelle est que l’État qui l’émet ne rembourse pas le montant emprunté mais acquitte un intérêt à un taux fixe, ici égal à zéro. La BCE est en revanche autorisée à racheter de la dette publique et privée sur le marché secondaire, ce qu’elle fait massivement. Cela a pour effet indirect de détendre les taux sur le marché primaire, où les fonds se ruent volontiers sur des titres liquides, qu’ils savent pouvoir revendre facilement à la BCE. Une fois ces titres arrivés à échéance, les États remboursent le principal emprunté, que la BCE reverse aux banques centrales nationales, qui l’utilisent pour provisionner leur bilan ou le reversent aux États.

Comme le soulignent Gaël Giraud ou Laurence Scialom, rien n’interdit à la BCE, dans ses statuts, d’annuler une partie de ces dettes. Cela libérerait autant de ressources que les États pourraient consacrer au financement des dépenses nécessaires à la transition écologique et sociale du « monde d’après », et ce sans alourdir leur dette d’un euro ! Cela éviterait, par la suite, de recourir à de nouveaux plans d’austérité, tels ceux mis en place pour éponger la dette générée par les plans de sauvetage des banques après la crise de 2008. Dans le contexte actuel, l’annulation des dettes ne serait en aucun cas inflationniste, puisque l’économie est éloignée du plein-emploi et que les « tensions salariales » ont disparu. Le bilan de la BCE se dégraderait, certes, mais la Banque des règlements internationaux a récemment reconnu qu’une banque centrale pouvait fonctionner sans problème avec des fonds propres négatifs, tant que règne la confiance accordée par les agents économiques envers la monnaie qu’elle émet.

La BCE détient 2 200 milliards d’euros de dettes publiques, dont 420 milliards de dette française. L’annulation d’une partie de celle-ci permettrait de dégager 100 à 200 milliards d’euros pour mettre sur pied un véritable programme de transition écologique, sans alourdir notre dette souveraine.

Liêm Hoang-Ngoc Maître de conférences à l’université de Paris-I.

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