Les « 4 de Melle », enseignants menacés de sanctions pour avoir protesté contre la réforme Blanquer

Pour leur participation aux mouvements de grève contre la réforme du bac en janvier et février, quatre enseignants des Deux-Sèvres sont convoqués en conseil de discipline. Ils risquent d’être radiés.

Tania Kaddour-Sekiou  • 14 octobre 2020
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Les « 4 de Melle », enseignants menacés de sanctions pour avoir protesté contre la réforme Blanquer
PHOTO : enseignants protestant contre la réforme Blanquer du bac, en janvier en Haute-Garonne (©ALAIN PITTON / NURPHOTO VIA AFP)

Malgré eux, ils sont devenus le symbole de la répression syndicale et de l’acharnement contre le corps enseignant. Les « quatre de Melle » sont accusés d’incitation à l’émeute et de manquement à leur devoir de réserve pour avoir participé aux mouvements de contestation contre la réforme Blanquer. Pour avoir fait usage de leur droit de grève, ils risquent aujourd’hui d’être radiés de la profession. Le rectorat de l’académie de Poitiers, dont dépend l’établissement, reproche aux enseignants d’avoir participé à trois journées de mobilisation : le 10 janvier, le 22 janvier et le 3 février, dans leur établissement, le lycée Joseph Desfontaines à Melle (Deux-Sèvres) . « Nous sommes accusés de blocage d’établissement et de perturbation des épreuves pour avoir été en rassemblement et en grève ces jours-là », explique Aladin Lévêque, l’un des enseignants concernés.

« Aujourd’hui, aucun enseignant n’est à l’abri »

Ces conseils de discipline ne sont pas le fruit du hasard, explique une voix du syndicat SUD Éducation 79, qui préfère garder l’anonymat : « Ce sont trois enseignants aux profils très variés, des professeurs ordinaires, pour montrer que personne n’est intouchable. » Aladin Lévêque renchérit : « C’est un message envoyé à tous les enseignants de France ! » Le corps enseignant dénonce aujourd’hui la pression que l’Éducation nationale exerce sur la profession. L’article 1 de la loi « pour une école de confiance », promulguée en juillet 2019, est équivoque. Il insiste sur _« l’engagement et l’exemplarité des personnels de l’Éducation nationale ». SUD Éducation 79 évoque une « manière d’être réduit au silence ».

Au départ, trois enseignants étaient concernés par ces conseils de discipline. Mais les « 3 de Melle » sont désormais quatre : aux côtés d’Aladin Lévêque, Sylvie Contini et Cécile Proust se retrouve Sandrine Martin. L’enseignante a été prévenue le 14 septembre, en cours, qu’elle allait recevoir une lettre recommandée le soir même l’informant de son passage en conseil de discipline, pour des faits remontant au début d’année 2020. Et ce « sans entretien préalable, à la date limite pour consulter son dossier et préparer sa défense », précise Aladin Lévêque. Contacté, le rectorat de l’académie de Poitiers se contente de présenter ces conseils de discipline comme « une opportunité d’argumenter et de permettre à chacun de défendre sa position, dans le respect des procédures ».

Une enquête menée par l’administration elle-même

Le 7 juin 2020, dans une lettre adressée à Bénédicte Robert, rectrice de l’Académie de Poitiers, Aladin Lévêque, Sylvie Contini et Cécile Proust dénoncent l’ingérence du rectorat et la mise en danger des élèves lors de la passation des épreuves du baccalauréat dans leur établissement. Ils évoquent notamment des portes incendie condamnées et sanglées, des élèves enfermés dans des salles d’examen ou encore des alarmes incendies coupées. « Il semblerait aussi que des consignes aient été données par l’administrateur de ne pas appeler les pompiers en cas de malaise d’élèves », détaillent-ils. Pourtant, « aucune suspension conservatoire n’a été prise à l’encontre de certains membres de l’administration ». Mais les « 3 de Melle », eux, sont suspendus depuis plus de six mois, et ont même « l’interdiction d’entrer en contact avec leurs collègues », selon SUD Éducation 79.

« Aujourd’hui l’administration est à la fois enquêtrice et juge, donc elle a tout le loisir de nous sanctionner comme elle l’entend », s’inquiète Aladin. Lui et ses collègues risquent des sanctions qui peuvent aller du blâme à la suspension, jusqu’à la mutation d’office ou encore la révocation de l’Éducation nationale. Le blâme peut même être infligé par la rectrice sans passer par un conseil de discipline. C’est le cas notamment d’une enseignante du Havre qui a écopé d’un blâme pour avoir critiqué la réforme Blanquer en avril 2019. Les syndicats parlent même d’une « mutation forcée ». À Poitiers, le verdict est d’autant plus attendu que la rectrice Bénédicte Robert est une ancienne collaboratrice du ministre Jean-Michel Blanquer, quand celui-ci était recteur de l’académie de Créteil. _« Les services du rectorat nous ont avoué qu’en dernière main, le dossier sera géré par le ministre lui-même », raconte Aladin Lévêque.

Symbole de répression syndicale

Ce lundi 12 octobre, Sylvie Contini était la première à se présenter à la porte du rectorat de Poitiers, soutenue par une foule venue en nombre. Dans un communiqué, plusieurs syndicats (SNES, CGT, Educ’action, FO, Sud Éducation) dénoncent « une répression qui touche tous les secteurs du monde du travail » et « une remise en cause des libertés syndicales et démocratiques ». C’est pour dénoncer les E3C, les épreuves communes de contrôle continu, qu’un mouvement national s’était mis en place en janvier et février derniers. Un mouvement auquel ont participé lycéens, parents d’élèves et enseignants pour dénoncer « un bac inégalitaire ». « Les lycées défavorisés seront les premiers à pâtir de ces réformes, car ils ne pourront pas proposer toutes les options, cela va créer des disparités énormes dans le modèle d’enseignement mais aussi au niveau de la répartition des postes », explique Aladin Lévêque. En réponse à la contestation, des gendarmes seront déployés devant les portes du lycée Joseph Desfontaines et les épreuves reportées plusieurs fois.

« En voulant les faire taire, c’est toute la profession que le ministère cherche à bâillonner », dénoncent les syndicats. « Ils ont la volonté d’aller jusqu’au bout », ajoute SUD Éducation 79. Les enseignants sont d’ores et déjà prêts à saisir le tribunal administratif en cas de sanction. Tous espèrent que ces évènements ne créeront pas un précédent qui mettrait à mal les luttes syndicales. De son côté, le rectorat de Poitiers explique « ne pas pouvoir préjuger de la décision à l’issue de ces conseils de discipline et favoriser les débats contradictoires ». « On va voir s’ils font le choix de l’apaisement et du dialogue social ou s’ils vont perpétuer ce passage en force », conclut Aladin Lévêque.

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