Résistance et Collaboration : le choc des mémoires

L’historien François Azouvi remet en cause les paradigmes mémoriels successifs dominants – et trop univoques – sur les « années noires ». Un éloge de la complexité.

Olivier Doubre  • 21 octobre 2020 abonné·es
Résistance et Collaboration : le choc des mémoires
Un membre des Forces françaises de l’intérieur, lors de la Libération de Paris, en août 1944.
© Photosvintages / Photo12 via AFP

On a longtemps tenu pour vraie la croyance qui voulait que gaullistes et communistes aient réussi à imposer, dès 1945, la vision d’une France de 40 millions de résistants, où Vichy aurait à peine existé, les collaborateurs ayant été une poignée d’égarés. Ce mythe, qui prit le nom de « résistancialisme », est peu à peu devenu, au fil de l’éloignement des « années noires », une conviction de plus en plus partagée, notamment au sein des générations qui ne les avaient pas vécues. Jusqu’à se transformer, après Mai 68, en un déni de ce prétendu mythe et une mise en accusation par les filles et les fils de leurs mères et pères, soulignant leurs responsabilités dans la Collaboration. Le point de bascule, à l’encontre de ce supposé et confortable « unanimisme résistancialiste », est advenu sans conteste avec la sortie, en 1971, du film de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, qui mit au jour les petits arrangements et surtout les grandes compromissions, ou plus encore les lâchetés de certains Français durant l’Occupation. Soudain, les « salauds, au sens sartrien », apparaissent au grand jour. Commence alors un nouveau récit, qui met en avant les victimes des dénonciations, de la Milice, de la déportation… D’une « mémoire sans tache » on passe ainsi au (seul) « poids de la culpabilité », où l’héroïsme résistant serait soudain devenu suspect, avec l’avènement (inéluctable) d’une « mythologie victimaire ».

Spécialiste de la mémoire au XXe siècle (CNRS-EHESS), François Azouvi s’était déjà employé, dans Le Mythe du grand silence. Auschwitz, la mémoire, les Français (Fayard, 2012), à réfuter la croyance répandue qui voulait que la mémoire de la Shoah eût été refoulée dès 1945. Dans son nouvel essai, l’historien s’attache à remettre en cause les « paradigmes mémoriels » dominants en France depuis l’après-guerre, et durant de longues décennies, concernant la Résistance, l’Occupation nazie et Vichy. Pour mieux décrypter ces « mensonges consolateurs » qui ont eu cours si longtemps. Et le chercheur de montrer, dans une analyse fine de ce « discours à valeur performative du passé », qu’au moment de sa réfutation au début des années 1970 les Français « en tombent malades ». Alors qu’ils n’avaient « évidemment pas cru avoir été tous d’impeccables résistants pendant la guerre », ils « se mettent à croire qu’ils l’avaient cru »

Pourtant, dès la Libération, les Français ont pu savoir tout ce qu’ils voulaient sur les dites « années noires ». À travers le décryptage de ces paradigmes mémoriels, François Azouvi expose les questionnements de nos contemporains, au cours des dernières décennies, sur les multiples tragédies de cette période de notre histoire.

Français, on ne vous a rien caché. La Résistance, Vichy, notre mémoire François Azouvi, Gallimard, « NRF essais », 608 pages, 24 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »
Entretien 18 novembre 2025 abonné·es

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »

Alors que le gouvernement échappe à un vote budgétaire et que le PS choisit la négociation, le leader insoumis dénonce une « comédie démocratique » et acte la rupture avec les socialistes. Sa stratégie : refonder une gauche de rupture, préparer les municipales en autonomisant La France insoumise et affronter les grands débats sur l’immigration, le syndicalisme, l’Ukraine, la Chine et le Proche-Orient.
Par Lucas Sarafian, Pauline Migevant et Pierre Jequier-Zalc
Les pédés sont des sorcières comme les autres
Essai 14 novembre 2025 abonné·es

Les pédés sont des sorcières comme les autres

Dans un essai visionnaire initialement publié en 1978, l’auteur et militant gay Arthur Evans dresse des ponts entre la culture des sorcières et le destin des communautés LGBT à travers les âges. Une histoire rythmée par les dominations sexistes, homophobes, racistes et écocidaires.
Par Salomé Dionisi
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc