Arié Alimi : « Les cibles de la loi sécurité globale sont les journalistes et les vidéastes amateurs »

L’avocat Arié Alimi dénonce une loi qui entravera lourdement la poursuite des auteurs de violences policières.

Romain Haillard  • 11 novembre 2020 abonné·es
Arié Alimi : « Les cibles de la loi sécurité globale sont les journalistes et les vidéastes amateurs »
© JOEL SAGET / AFP

Arié Alimi, avocat et membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme, voit dans la loi « sécurité globale » une grave dérive pour les libertés publiques. Le texte ne permet pas seulement une atteinte à la liberté de la presse. Il ouvre la voie à une surveillance généralisée et avance vers une sécurité non pas globale, mais détériorée.

L’article 24 de la loi « sécurité globale » prévoit de punir la diffusion d’images de policiers identifiables dans le but de nuire à leur intégrité. Les défenseurs de ce texte estiment que les journalistes seront de fait exclus de son champ d’application. Qu’en pensez-vous ?

Arié Alimi : C’est un mensonge. Il faut être clair sur les mots : les cibles de ce texte seront les journalistes et les vidéastes amateurs. Qui décidera du caractère malveillant ou non d’une diffusion ? C’est un juge, et personne d’autre avant lui, à l’issue d’une longue procédure judiciaire. Ce texte donne à tous les policiers en manifestation le pouvoir d’empêcher un enregistrement réalisé en direct. Cet article est une ouverture à l’interpellation. Ces dernières années, dans la rue, les policiers empêchent trop souvent des vidéastes amateurs de filmer, sans même l’existence de ce délit.

Connaissons-nous l’ampleur des agressions de fonctionnaires de police hors service et après une identification ?

Nous aimerions bien le savoir pour le débat public. Avant de proposer un texte aussi attentatoire aux libertés publiques, il faut d’abord les mettre en balance avec l’intégrité physique des policiers et, donc, évaluer la menace. Malheureusement les promoteurs du texte refusent de transmettre des données chiffrées. Il faut protéger les fonctionnaires de police, c’est évident. Leur fonction les expose à des dangers, mais il ne faut pas les fantasmer. Ces vidéos où les policiers seraient identifiables représentent un risque judiciaire davantage qu’un risque pour leur intégrité physique. Nous pouvons voir cet article comme une compensation, une couverture d’assurance face aux risques que l’État a fait courir aux policiers lors du mouvement des gilets jaunes, quand il leur a donné la liberté d’avoir les coudées franches.

Quels risques voyez-vous dans l’exercice de vos fonctions ?

Les avocats ont été contraints de faire des investigations, notamment avec des appels à témoins sur les réseaux sociaux. Pour les affaires Geneviève Legay, Cédric Chouviat ou encore du Burger King, la diffusion des vidéos et ces appels ont été déterminants. Ne plus diffuser ces images, c’est nous priver d’une des seules manières d’obtenir une ouverture d’enquête.

La loi le précise, la transmission des vidéos aux autorités compétentes en matière d’enquête sera toujours possible. Est-ce une garantie suffisante ?

Les violences policières constituent un domaine particulier. Les autorités classent sans suite, n’enquêtent pas ou très lentement, avec le risque d’une déperdition de la preuve. Et rappelons-le : même les autorités judiciaires ou policières peuvent mentir, nous en avons désormais la preuve avec des affaires comme la mort de Cédric Chouviat, où la préfecture avait menti.

La police veut communiquer davantage, notamment en publiant des images d’intervention prises avec les caméras individuelles. Y voyez-vous une dérive ?

Il y a aujourd’hui une volonté de promouvoir une propagande d’État, dans une guerre de la communication assumée, notamment par la préfecture de police de Paris, promotrice de ce conflit. La loi « sécurité globale » doit être mise en perspective avec le nouveau schéma national du maintien de l’ordre, qui veut favoriser la venue de journalistes du côté de la police, avec une volonté de sélectionner le bon grain de l’ivraie.

Une décision du Conseil d’État en mai dernier pointait l’absence de cadre légal pour l’utilisation des drones policiers. Devons-nous être rassurés de voir dans la loi « sécurité globale » un cadre posé ?

Au contraire. Ajoutés aux caméras-piétons au sol, les drones dans le ciel nous acheminent vers une surveillance généralisée en trois dimensions. La prochaine étape sera l’utilisation d’algorithmes, notamment de la reconnaissance faciale à la volée. L’État pourra alors connaître le lieu, l’identité et le comportement d’une personne sur la voie publique. Voilà la société à laquelle la loi « sécurité globale » nous prépare. Nous ne pourrons malheureusement pas faire grand-chose contre l’utilisation des drones. Espérons que le Conseil d’État précise davantage le cadre très large prévu par cette loi.

Arié Halimi Avocat.

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