Vaccins : Affaiblir les défiances immunitaires

En dépit des suspicions, la vaccination constitue toujours, après la deuxième vague, la porte privilégiée de sortie de crise.

Jérémie Sieffert  • 16 décembre 2020 abonné·es
Vaccins : Affaiblir les défiances immunitaires
© Mark Felix / AFP

Sommes-nous en train d’entrevoir le bout du tunnel ? Alors que les spécialistes affirment que seul l’outil vaccinal pourra nous sortir de l’ornière en évitant les morts (1), ce sont pas moins de trois vaccins qui sont dans les starting-blocks en Europe. Un développement en un temps record qui s’explique par des technologies innovantes, au premier rang desquelles l’ARN messager. En projet depuis les années 1990, cette technique constitue un immense espoir thérapeutique, notamment pour certains cancers. Mais elle peut aussi servir pour les vaccins, avec un procédé au point depuis… fin 2019 (2).

C’est cette technologie qui concentre l’attention. Une fraction du matériel génétique viral enrobée d’une couche lipidique est injectée. Elle intègre les cellules, qui synthétiseront elles-mêmes la protéine « spike » (et elle seule) caractéristique du Sars-Cov-2, entraînant une réponse immunitaire. Une technique beaucoup plus efficiente et prometteuse que les autres vaccins en lice, celui du britannique AstraZeneca ou encore le Spoutnik V russe, à base, eux, d’adénovirus modifié génétiquement pour le munir de la fameuse protéine (3).

Mais les Français sont perplexes, partagés entre l’espoir de retrouver une vie normale et une profonde défiance. Une défiance qui vient de loin, renforcée par les fautes des pouvoirs publics, mais aussi par un concert de paroles trompeuses, voire mensongères, dans les médias. Comble de l’ironie, à la suite d’un certain documentaire complotiste (4), les « rassuristes » de l’été se sont vite mués en « alarmistes » des vaccins, parfois avec l’appui de figures du monde médical.

Comme si un seul Didier Raoult ne suffisait pas, c’est le professeur Éric Caumes, chef du service infectiologie à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, qui s’y est collé récemment. Le 8 décembre sur France Inter, il se plaignait de ne pas disposer des données concernant le vaccin à ARN de Pfizer-BioNTech, alors que celles-ci étaient publiées le même jour. Le lendemain, au Parisien qui lui demandait s’il avait eu le temps de les examiner, il s’est dit« frappé » par « une fréquence aussi élevée d’effets indésirables », pointant les 16 % de personnes ayant ressenti de la fièvre, 52 % des maux de tête et jusqu’à 59 % de la fatigue. « C’est beaucoup trop », jugeait l’infectiologue, qui ne s’était pas avisé que les patients de la colonne placébo avaient également ressenti les mêmes effets à des taux anormalement élevés. Le même jour, il remettait ça sur LCI, indiquant qu’il préférerait le « vaccin chinois », pour lequel on ne dispose pourtant d’aucune donnée fiable. Cherchez l’erreur.

En réalité, de l’avis général du monde scientifique, où personne (pas même le « M. Vaccin » nommé par le gouvernement pour réfléchir à une stratégie vaccinale, l’immunologue Alain Fischer) ne propose de griller les étapes, les données publiées le 8 décembre sont très encourageantes. Du reste, même Éric Caumes a fini par en convenir. Le 14 décembre, il indiquait au Parisien, qu’après avoir « passé le week-end » sur les données il jugeait le vaccin de Pfizer « très efficace », concluant qu’« il faut se faire vacciner ». De l’importance de tourner sept fois sa langue…

Force est de constater que, avec 18 000 personnes vaccinées et trois mois de recul, Pfizer a respecté les protocoles, et la proportion d’effets secondaires graves reste très faible. Il est bien sûr possible qu’avec le déploiement en population quelques-uns apparaissent. Mais que dire de la balance bénéfices/risques quand le Covid-19 affiche toujours un taux de mortalité de 0,5 % en moyenne ? Chez les personnes âgées ou avec comorbidités, ce rapport devient écrasant en faveur du vaccin, d’où l’idée de prioriser celles-ci sur la population générale, qui peut bien attendre quelques données supplémentaires. Effets secondaires rares, efficacité par tranche d’âge, durée d’immunité, porteurs asymptomatiques… Les incertitudes ne pourront se dissiper qu’avec le temps, grâce à un suivi en temps réel des campagnes de vaccination.

Si les vaccins à ARN ont le vent en poupe, on ne peut pas en dire autant de l’autre grand axe, l’adénovirus recombiné. AstraZeneca, notamment, enchaîne les déboires. Dernier en date, une étonnante erreur de dosage chez certains patients a jeté le doute sur l’efficacité du vaccin. Et l’annonce, le 11 décembre, d’une association avec le Spoutnik V russe a provoqué des remous jusque dans les cours boursiers de la firme. Preuve que rien n’est acquis pour « Big Pharma », qui joue très gros dans cette affaire. Preuve aussi que, pour sortir d’une crise sanitaire centennale, rien ne sert de courir.

(1) Lire « Ce virus qui joue avec nos nerfs », _Politis n° 1622, 7 octobre 2020.

(2) Lire « La saga du vaccin à ARN messager désormais dans le sprint final », _Le Monde, 30 novembre 2020.

(3) L’adénovirus pénètre le noyau cellulaire, où se situe notre matériel génétique, ce qui n’est pas le cas de l’ARN messager.

(4) Voir le billet de la rédaction « Hold-up mental », _Politis n° 1628, 19 novembre 2020.