« À fukushima, ça se dégrade à tous les niveaux ! »

La militante Yûki Takahata fustige l’optimisme factice du gouvernement, à rebours des attentes de la population.

Patrick Piro  • 3 mars 2021 abonné·es
« À fukushima, ça se dégrade à tous les niveaux ! »
© Christian Fonseca

En 2012, Yûki Takahata, qui réside en France, cofonde le réseau Yosomono-net, présent dans plusieurs pays, pour mobiliser les citoyen·nes (japonais·es en majorité) sur les conséquences de la catastrophe de Fukushima. Le réseau aide des victimes, diffuse de l’information hors du Japon et s’oppose à la réouverture de centrales dans ce pays.

À écouter les officiels, le retour à la normale est en bonne voie, à Fukushima…

Yûki Takahata : Le message des autorités, du monde économique ou des médias – qui leur sont dévoués –, c’est : « Dix ans après l’accident, tournons la page. » Pour le gouvernement, tout se passe bien : on reconstruit à Fukushima, la vie retrouve un cours normal. Et le parcours de la flamme olympique des JO d’été à Tokyo devrait démarrer près de la centrale détruite ! En 2013, le Premier ministre, Shinzo Abe, expliquait déjà que tout était maîtrisé et garantissait que les JO seraient sûrs.

Or la situation s’aggrave un peu partout, la situation n’est absolument pas maîtrisée, ce qui nous inquiète fortement. Impasse sur l’eau radioactive : le gouvernement se prépare à un relargage en mer. Sols contaminés : on a gratté la terre sur cinq centimètres à peine pour l’empiler dans des sacs dont on ne sait pas quoi faire. La connaissance de la radioactivité dans l’environnement est insuffisante, etc.

Comment l’opinion publique évolue-t-elle ?

Nombre de personnes sont lassées de l’emprise du problème Fukushima, elles aussi veulent « passer à autre chose ». Cependant, même s’il s’agit d’une minorité, les militant·es qui se mobilisent ne faiblissent pas. Par ailleurs, les sondages montrent la stabilité d’une opinion majoritairement favorable à une sortie du nucléaire. Et si le sujet n’est pas déterminant dans les débats politiques nationaux – la droite au pouvoir est pronucléaire –, les gouvernorats départementaux ont des pouvoirs importants. Ils ont notamment entravé le redémarrage de centrales. Il existe aussi un réseau d’avocats antinucléaires très actif, qui a soutenu les mouvements d’opposition. Surtout, la population semble avoir compris que le nucléaire n’est plus incontournable. Lors de la fermeture des réacteurs, qui a retranché du jour au lendemain 29 % de la production d’électricité, on s’en est sorti avec des économies d’énergie et le recours à d’autres sources, dont, de plus en plus, les énergies renouvelables.

Quelle est la situation des victimes de la catastrophe nucléaire ?

La zone évacuée après l’accident, en raison de la contamination, a été jugée beaucoup trop limitée par des milliers de personnes vivant à proximité, et qui ont fui par peur de la radioactivité ainsi que par défiance vis-à-vis des informations officielles. Les autorités nationales et le gouvernorat de Fukushima incitent depuis longtemps au retour des habitant·es. Pour faire pression, les aides au logement octroyées à ces exilé·es après l’accident ont même été coupées en 2017, contraignant les plus pauvres à revenir sur les lieux contaminés. Mais, en grande majorité, les villages restent dépeuplés, des milliers de personnes refusent de revenir dans leurs -maisons. Ce sont surtout des « mères réfugiées volontaires avec enfants », dont les maris sont restés sur place, pour travailler.

Un collectif de 14 000 victimes a lancé une trentaine de procès contre le gouvernement et Tepco, l’exploitant de la centrale de Fukushima, qui minimisent leur responsabilité, les dommages et les indemnisations. Tepco a été acquitté en 2019, mais un procès en appel doit avoir lieu cette année.

En 2011, il y avait une inquiétude particulière quant au risque de cancers de la thyroïde chez les jeunes enfants, caractéristiques d’une exposition radioactive. Les craintes se sont-elles confirmées ?

En juin 2020, on relevait 202 cas de cancers de la thyroïde, pour une population de 380 000 mineurs de moins de 18 ans à l’époque de l’accident. Soit une incidence très supérieure à la moyenne pour cette pathologie très rare dans cette classe d’âge – deux à trois cas par million. Or, arguant de biais d’observation, les autorités sanitaires dénient un lien de cause à effet. Elles veulent réduire la fréquence des examens. Et l’on passe sous silence les maladies cardiaques, les suicides… C’est scandaleux, les victimes de l’accident de Tchernobyl ont été bien mieux traitées !

Yûki Takahata Cofondatrice du réseau Yosomono-net

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