La Révolution au coin de la rue

Au delà des lieux de mémoire bien connus, un parcours guidé sur les traces de 1789 dans la capitale sera proposé dès le printemps par la mairie de Paris. Une façon de raconter l’histoire de là où elle s’est écrite.

Guillaume Mazeau  • 3 mars 2021
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La Révolution au coin de la rue
La statue de Danton, place de l’Odéon, à Paris.
© Leemage via AFP

Paris, capitale des révolutions ? Fabriquée dès 1789, relancée au XIXe siècle, cette image a fini par s’imposer : la ville-révolution aurait légué au monde un patrimoine aussi émancipateur que consensuel, marqué par des lieux de mémoire, scandé par des journées révolutionnaires et incarné par de grands hommes dont nous serions les héritiers naturels. Dans une tout autre tradition, Paris est aussi évoqué comme la ville-terreur, capitale des violences, territoire des sans-culottes et de la guillotine. Ces deux images font partie d’un même rapport au passé révolutionnaire, fondé sur le manichéisme et la folklorisation de l’événement.

Il suffit pourtant parfois d’ouvrir les yeux. C’est à cela qu’invitera prochainement le « Parcours Révolution ». À travers seize quartiers (Bastille, Odéon, la Chapelle expiatoire…), renvoyant à plus de cent vingt points d’intérêt et quelque trois cents notices de textes, d’images et bientôt de sons, accessibles sur une application gratuite et sur un site Internet enrichi de références bibliographiques et de ressources pédagogiques, ce parcours propose une expérience d’histoire publique : une histoire qui, fondée sur les recherches récentes, se raconte au fil des vestiges du passé.

Le genre et l’intelligence du chœur

Christine Bard, historienne du genre, revient dans ce livre d’entretien sur son travail, mais surtout donne à voir le portrait collectif d’une histoire du genre qui ne cesse – au gré des publications, des colloques, des échanges avec les étudiant·es – de s’enrichir de questionnements nouveaux. Elle montre aussi combien ces travaux percutent le réel, portés par les vagues féministes, bousculés par les lames de fond des backlashes réguliers, dont le dernier est sans doute le débat sur l’intersectionnalité en sciences sociales. Plus qu’un parcours d’enseignante-chercheuse, ce livre est un chœur de femmes qui luttent, cherchent, s’interrogent, se querellent parfois, rapporté par une historienne qui ne se départit jamais ni de sa rigueur ni de sa bienveillance.

L. D. C. et M. L.

Mon genre d’histoire Christine Bard avec Jean-Marie Durand, PUF, 224 pages, 15 euros.

Visibles ou presque effacées, monumentales ou ordinaires, familières ou méconnues, les traces que la Révolution française a laissées dans Paris sont bien plus nombreuses et diverses qu’il n’y paraît au premier regard. Et sont l’occasion de raconter l’histoire d’une capitale qui fut aussi une ville en révolution, à l’échelle de tous ses territoires, du quartier jusqu’à l’empire. Cette histoire du coin de la rue exhume ainsi le passé méconnu des femmes des faubourgs et des habitants du « quartier des sans-culottes », ou celui des « libres de couleur » et de l’Institut national des colonies, fondé sur la montagne Sainte-Geneviève. Ancré dans les hauts lieux de la Révolution (la Conciergerie, le musée Carnavalet-Histoire de Paris, le Panthéon, les Tuileries, le cimetière de Picpus ou la Bastille), le parcours invite aussi à s’intéresser aux détails comme les anciennes plaques de loi, les symboles révolutionnaires abîmés par le temps, les discrètes traces de l’iconoclasme ou encore celles laissées par les combats sur les murs de la cité divisée.

Au fil de leurs déambulations, les visiteurs se laisseront ainsi surprendre par un passé probablement différent de celui qu’ils pensaient chercher : des amphithéâtres du Muséum d’histoire naturelle au couvent des Carmes en passant par l’église Saint-Roch ou les jardins de Tivoli, c’est un autre Paris, mais aussi une autre Révolution, qui surgit des plis de l’espace urbain. Une Révolution qui, portée par les rêves de cité universelle, voit dans Paris une possible nouvelle Rome, capitale de l’Homme nouveau. Une Révolution également chargée d’ambiguïtés et de tensions, déchirée par les peurs et les violences de la guerre civile.

À rebours des romans nationaux, de la muséification, des descriptions voyeuristes ou patrimoniales, à distance de la faiseuse d’illusions qu’est la fièvre reconstitutionniste, le « Parcours Révolution » proposé par le conseil scientifique réuni par la mairie de Paris s’inscrit plutôt dans la lignée des parcours sonores consistant à raconter l’histoire en partant des endroits où elle a eu lieu. Il n’est pas non plus sans lien avec l’« urbex », l’exploration urbaine telle qu’elle est pratiquée comme outil de réappropriation d’un passé depuis ses traces délaissées. Il faut savoir passer par ces chemins de traverse pour reprendre contact avec l’histoire vivante de la Révolution française, dont il s’agit d’interroger les héritages les plus contrastés, pour voir ce que l’on ne voit plus dans la cité d’aujourd’hui. Si ce parcours fait prendre conscience du fait que nous ne savons plus bien de quoi 1789 est le nom, alors il aura aidé à réamorcer l’histoire de l’événement, non pour nous en proclamer les continuateurs ni les commémorateurs, mais pour nous recharger de la puissance de ses utopies, de ses contradictions comme de la richesse de ses possibles.

Guillaume Mazeau Maître de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.

Temps de lecture : 4 minutes
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