Blandine Masson : Une vie au fil de l’onde

Depuis vingt-cinq ans, Blandine Masson se consacre à la fiction radiophonique sur France Culture. Elle offre une passionnante découverte d’un métier méconnu.

Anaïs Heluin  • 19 mai 2021 abonné·es
Blandine Masson : Une vie au fil de l’onde
© Christophe Abramowitz

À une époque où l’image commence à se loger partout, dans les années 1970, c’est par le son que Blandine Masson découvre « le monde présent, concret ». « J’étais ignorante de mon siècle, enfermée dans le prisme étroit de la littérature. La radio fut pour moi une sorte d’université vivante, sauvage, un rattrapage luxueux », témoigne dans Mettre en ondes. La fiction radiophonique celle qui dirige depuis 2005 les programmes de fiction sur France Culture. À travers ce livre, elle entend donc rendre à la radio ce qu’elle doit à la radio : l’essentiel d’une vie. Car, si ce média, explique-t-elle, donne beaucoup à ceux qui en font leur métier, elle exige aussi beaucoup d’eux. D’où la part très intime du témoignage de l’auteure, qui a participé à la grande évolution de la fiction radiophonique ces dernières années, accélérée par l’arrivée du podcast.

En 2010, l’ouverture de cette technologie aux programmes de fiction permet en effet à ceux-ci de « sortir de la nuit radiophonique » où ont jusque-là vécu tous ceux qui s’y engagent depuis la naissance de leur métier en pleine Seconde Guerre -mondiale. -Incarnée par un homme « “qui n’en faisait qu’à sa tête”, un intellectuel, polytechnicien, artiste, musicien, metteur en scène, nommé Pierre Schaeffer », cette genèse est très régulièrement évoquée par Blandine Masson. Organisé en trois grandes parties, son témoignage reflète le mouvement d’une pensée, d’une mémoire très imprégnée par l’histoire d’un genre qui emprunte à plusieurs autres – théâtre, cinéma, musique… – sans se confondre avec aucun.

Mais même dans son approche historique, très documentée, l’auteure de Mettre en ondes affirme pleinement sa subjectivité. Si sont présents dans ce texte tous ceux qui ont contribué à la reconnaissance de la fiction radiophonique comme genre artistique à part entière, indépendant notamment du théâtre, avec lequel il a longtemps entretenu des relations de frères ennemis, l’un d’eux est présent à chaque page ou presque : Alain Trutat (1922-2006). Lorsqu’il recrute Blandine Masson en tant que réalisatrice de fictions pour France Culture en 1995, ce discret homme de radio œuvre à la transformation des émissions qui l’intéressent. Alors qu’elles étaient jusque-là appelées « dramatiques », c’est lui qui les rebaptise « fictions » et qui redonne sens et force au rapport entre les ondes et la scène.

C’est en parfaite héritière de la « méthode Trutat » que Blandine Masson se penche sur les spécificités du métier de metteur en ondes-réalisateur, dont ce maître lui a ouvert les portes : avec une grande «modestie vis-à-vis des plus anciens et du passé». Actrice de la rénovation, du décloisonnement de la fiction radiophonique, Blandine Masson a les grandes histoires et les anecdotes qu’il faut pour donner le goût du son aux jeunes générations. Ce qu’elle dit de la relation entre Alain Trutat et Alain Crombecque, au moment où celui-ci dirigeait le Festival d’Avignon (entre 1985 et 1992), par exemple, nous fait entrer dans les passionnantes coulisses d’un passé dont le présent est largement nourri.

Parmi les plus belles pages du livre, celles que Blandine Masson consacre à sa mère, comédienne, sont, comme beaucoup d’autres où il est question d’épisodes personnels, des dons précieux à tous les amateurs d’un genre que beaucoup goûtent dans le silence et dans la nuit. Tels les « spectateurs immobiles » rêvés par Alfred de Musset, il y a de cela bientôt deux siècles.

Mettre en ondes. ****La fiction radiophonique, Blandine Masson, Actes Sud « Papiers », 224 pages, 18 euros.

Littérature
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