Le racisme décomplexé, au Canada aussi…

L’historien Jean-Pierre Le Glaunel démonte la manipulation autour de George Floyd menée par le journaliste réac Christian Roux.

Olivier Doubre  • 9 juin 2021 abonné·es
Le racisme décomplexé, au Canada aussi…
Une immense fresque à la mémoire de George Floyd est peinte sur la rue Sainte-Catherine, à Montréal, le 21 juillet 2020.
© Eric THOMAS / AFP

Connaissez-vous Christian Rioux ? Ou Mathieu Bock-Côté (1) ? C’est un peu comme si l’on vous demandait, ici en France, si vous saviez qui sont, respectivement, Pascal Praud et Éric Zemmour… En dépit de notre histoire (jadis) commune, et surtout de notre langue partagée, le Canada francophone nous est finalement bien mal connu. Ses débats politiques, intellectuels, nous semblent de fait lointains, et nos repères culturels ou médiatiques depuis Paris, Nantes ou Marseille sont quasi étrangers pour les habitants de Québec ou Montréal. Ce brillant essai de l’historien Jean-Pierre Le Glaunec, enseignant à l’université canadienne de Sherbrooke, spécialiste de l’histoire des États-Unis, d’Haïti et des Amériques noires, a ainsi l’avantage de nous donner à connaître les polémiques et oppositions politiques au Canada, plus largement en Amérique du Nord, où, peut-être plus encore qu’en France, le racisme et les violences policières contre les minorités ethno-raciales, mais aussi la violence symbolique, s’affirment sans complexe à longueur d’articles de presse, de tweets, d’émissions télévisées.

Tout l’intérêt de ce livre est qu’il conjugue à la fois une charge contre les articles du journaliste québécois Christian Rioux, longtemps correspondant à Paris du grand quotidien francophone canadien Le Devoir, en particulier ses odieuses « chroniques floydiennes » (publiées à la suite de l’étouffement de George Floyd durant 8 minutes et 46 secondes sous le genoux d’un « pig » blanc, flic de Minneapolis) et un retour sur le propre parcours de son auteur. Devenu historien à l’université de Sherbrooke, celui-ci profite ainsi de ce livre pour se remémorer d’où il vient. Quand il fut un « raciste ordinaire », fils du chef de la police municipale de sa petite ville de banlieue. Quand il aurait pu « s’entendre avec Christian Rioux », « être néoconservateur et utiliser l’histoire comme arme idéologique ». Quand il « affectionnai[t] particulièrement » la chanson de Michel Sardou, « Le Temps des colonies », et son couplet (très chic) : « Autrefois, à Colomb-Béchar, j’avais plein de serviteurs noirs, et quatre filles dans mon lit, au temps béni des colonies »

Ayant courageusement fait ensuite le choix du « doute et de la critique », Jean-Pierre Le Glaunec se fait ici le pourfendeur implacable – et rigoureux – des écrits de Christian Rioux et de Mathieu Bock-Côté, régulièrement accueillis à bras ouverts par Valeurs actuelles ou Alain Finkielkraut. Car leurs cibles sont « les antiracistes, le rap, les jeunes de banlieue acculturés et au français “approximatif”, les “jeunes Haïtiens de Montréal”, les “vandales qui déboulonnent des statues depuis l’assassinat de George Floyd”, Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, la discrimination positive, Brooke Williams, la nièce de George Floyd »… On arrête là ?

(1) Sur ce néoconservateur, passé du souverainisme québécois à une incessante charge contre le mouvement antiraciste (qu’il qualifie de « racialiste », dans un mélange des genres typiques de l’extrême droite), cf. l’excellent essai de Mark Fortier, Mélancolies identitaires: une année à lire Mathieu Bock-Côté, Lux Éditeur, 2019.

Une arme blanche. La mort de George Floyd et les usages de l’histoire dans le discours néoconservateur Jean-Pierre Le Glaunec, éd. Lux, 144 pages, 12 euros.

Idées
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