Les libertés sur l’autel de la sécurité

Au nom de la lutte contre le terrorisme, le gouvernement entend pérenniser des mesures inquiétantes.

Nadia Sweeny  • 9 juin 2021 abonné·es
Les libertés sur l’autel de la sécurité
© Laure Boyer / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Des mesures ultra-sécuritaires sont en passe d’entrer de nouveau dans notre droit commun. L’Assemblée nationale vient de voter en première lecture le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, déposé par le gouvernement le 28 avril. C’est la dixième loi sur le terrorisme en dix ans : c’est dire leur efficacité !

Ce projet pérennise des mesures inquiétantes et censées être temporaires puisque issues de l’état d’urgence de 2015 : les restrictions de liberté imposées à des individus par la voie administrative, soit en dehors du contrôle judiciaire. Le ministère de l’Intérieur peut ainsi ordonner une perquisition, des saisies, des fermetures, instaurer des périmètres de sécurité et des mesures individuelles de contrôle et de surveillance (Micas) dès lors qu’il considère qu’« il existe des -raisons sérieuses » de penser qu’un comportement constitue « une menace » d’une particulière gravité « pour la sécurité et l’ordre publics »… Le non-respect de ces mesures est passible de plusieurs années de prison. Lors du débat dans l’Hémicycle, la députée Modem (ex-LREM) Blandine Brocard assume : « Nous pérennisons les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance qui s’adressent à des personnes susceptibles de passer à l’acte mais qui n’ont pas commis de crime. »

Ces mesures préventives dites de « sûreté » sont imposées le plus souvent sur la base de notes blanches des services de renseignement, dont le contenu est souvent inaccessible puisque secret, rendant les voies de recours particulièrement difficiles. « Le risque est élevé de voir le dispositif utilisé dans un autre contexte et de manière beaucoup plus large. Je pense, par exemple, aux opposants politiques, écologistes, altermondialistes, animalistes, corses ou basques, s’est alarmée la députée Frédérique Dumas (groupe Libertés et territoires) lors de la discussion en séance parlementaire. Les visites domiciliaires [perquisitions administratives – NDLR] sont tout aussi contestables puisqu’elles peuvent être utilisées à la place de perquisitions judiciaires. » Une hérésie pour la députée, « d’autant que le droit pénal a été aménagé afin de pouvoir engager plus précocement une procédure judiciaire contre les personnes susceptibles de passer à l’acte terroriste ».

Ces mesures administratives doivent aussi servir à éviter les sorties « sèches », soit sans contrôle judiciaire, de détenus déjà condamnés à plus de cinq ans – plus de trois ans pour les mineurs  – pour des faits relatifs à une entreprise terroriste. Une centaine doivent sortir de prison d’ici à 2023. L’autorité administrative veut donc pouvoir leur imposer des mesures restrictives administratives, dénoncées par leurs détracteurs comme « une peine après la peine ».

Le risque est élevé de voir le dispositif utilisé dans un autre contexte et de manière plus large.

Tout cela n’est pas sans rappeler le débat houleux autour de la loi relative à la rétention de sûreté, votée en 2008, qui non seulement intègre dans le droit pénal une « surveillance de sûreté » pour des personnes sortant de prison après des peines de plus de quinze ans, mais permet aussi de maintenir enfermées, après l’exécution de leur peine, des personnes dont la « probabilité très élevée de récidive » est liée à un « trouble grave de la personnalité ». C’est cette même rétention qu’Éric Ciotti et une partie de la droite voudraient voir appliquée à « ceux qui menacent notre territoire ».

« La rétention de sûreté n’est pas une peine », disait la garde des Sceaux Rachida Dati en 2008, mais « une mesure préventive ». À cette époque, Georges Fenech, député de l’UMP, rapporteur de la loi, défendait cette disposition en prétendant que d’autres pays démocratiques disposaient de lois similaires _: « La mesure de “détention sûreté” a été introduite dans le code pénal allemand en 1933, sous la République de Weimar. »_ Sans préciser que ledit code a été signé par le chancelier de l’époque, un certain Adolf Hitler. On nous accusera d’atteindre le « point Godwin » mais, dans un tel contexte, comment y échapper ?

L’idée selon laquelle les libertés individuelles et collectives, soit le fondement des droits humains, seraient le terreau fertile de l’action criminelle et terroriste, n’est pas née d’hier et surtout pas dans les meilleurs pots de confiture. Une idée dominante de la pensée lepéniste : le père comme la fille – ainsi qu’une bonne partie de la droite et d’une certaine gauche – clament toujours que « la première liberté, c’est la sécurité ». Les autres devraient donc s’effacer devant elle.

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