« Bonne Mère », de Hafsia Herzi : Le don de soi

Dans Bonne Mère, Hafsia Herzi dresse avec délicatesse le portrait d’une femme humble et solaire, tournée vers les autres, essentielle.

Christophe Kantcheff  • 21 juillet 2021
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« Bonne Mère », de Hafsia Herzi : Le don de soi
Alima Benhamed dans le rôle de Nora.
© Sbs distribution

Si Tu mérites un amour, le premier long métrage d’Hafsia Herzi, dressait un portrait d’une certaine jeunesse contemporaine, Bonne Mère s’intéresse à une femme appartenant à la génération de ses parents. Il s’agit de Nora, matriarche – en l’absence de son mari disparu depuis longtemps – d’une famille habitant une cité des quartiers nord de -Marseille. Nora, la petite soixantaine, femme de ménage à l’aéroport, plus précisément dans les avions en transit, aide à domicile bénévole auprès d’une vieille dame à qui on la sent très liée, caractère généreux à qui tous ses proches s’adressent quand ils ont besoin de quelque chose. Une « bonne mère », une « mère -courage ».

Bonne Mère, Hafsia Herzi, 1 h 39. En salle.
« Quoi de plus beau qu’un enfant ? » dit quelqu’un. Nora répond par un oui mitigé. Son grand fils est en prison, sa belle-fille vit sous son toit avec leur garçon, sa fille, Sabah (Sabrina Benhamed), au chômage, a une enfant en bas âge sans père, tandis que son fils cadet se conduit comme un coq en pâte. Les enfants, c’est bien, mais les maternités vous pompent votre suc, votre calcium, au point d’avoir recours à un dentiste pour remplacer des dents usées – mais, pour Nora, cela coûte très cher. Les enfants, c’est bien, mais ils ne cessent de solliciter Nora, de lui laisser les tâches ménagères de l’appartement à accomplir, de l’utiliser comme arbitre dans les conflits du quotidien. Elle est une femme « au service de », sa vie personnelle en retrait, ses désirs enfouis.

Pour autant, Bonne Mère, présenté à Cannes dans la section Un certain regard, est aux antipodes du film misérabiliste, même s’il avance par touches naturalistes. Comme le personnage de Fatima, qui donnait son titre au film de Philippe Faucon, Nora, malgré l’onde de mélancolie qui émane d’elle, est une femme solaire. Celle qui l’incarne y est pour beaucoup, avec son sourire lumineux et son visage ouvert et harmonieux. Actrice non professionnelle, Halima Benhamed a été repérée par Hafsia Herzi, qui l’a convaincue, malgré ses réticences, d’accepter le rôle – un flair de cinéaste ! Halima -Benhamed nous fait remarquablement sentir que, si la famille parfois lui pèse, l’amour qui s’y manifeste la porte. De même, les scènes où elle s’occupe de la vieille femme (Denise Guillo) touchent particulièrement.

Plus largement, la cinéaste ne cherche pas à occulter le sort de ces populations délaissées. La prison, la drogue, les propositions douteuses faites à Sabah pour de l’argent facile… Tout est là. Mais Hafsia Herzi tourne aussi sa caméra et ses micros vers les lumières qu’elle peut capter, la vie qui pulse dans ces quartiers (dont elle vient), les beautés qu’ils recèlent. Ayant retenu de bonnes choses chez Abdellatif Kechiche, dont elle est une des actrices fétiches, elle est à l’écoute des rythmes, des inflexions de la parole. Ses dialogues ont la vivacité du quotidien, l’énergie qui mène vers l’avant. Bonne Mère est un superbe hommage aux femmes qui tiennent non pas les murs, mais nombre d’existences, des piliers sensibles et solides, à qui heureusement, comme c’est le cas pour Nora, il arrive qu’on dise qu’elles sont aimées.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes
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