Titane, The French Dispatch et Un héros (Cannes, Compétition)

Les films de Julia Ducournau, Wes Anderson et Asghar Farhadi n’allument pas le feu (d’artifice).

Christophe Kantcheff  • 14 juillet 2021
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Titane, The French Dispatch et Un héros (Cannes, Compétition)
© Carole Béthuel

Aujourd’hui mercredi 14 juillet, j’entends à la radio que l’étape du jour est la plus difficile du Tour de France 2021. J’ai le sentiment que, plus humblement, mon étape la plus ardue des films en compétition à Cannes fut la journée d’hier.

Je vais tricher un peu et commencer par lundi soir. Après La Fièvre de Petrov, œuvre psychédélique de Kirill Serebrennikov, toujours empêché de sortir de son pays par Poutine, mais dont l’équipe portait un badge à son effigie et à qui était réservé un fauteuil lors de la projection officielle, était présenté The French Dispatch, de Wes Anderson. L’histoire d’un magazine américain implanté dans une ville française des années 1960 : Ennui-sur-blasé (en réalité Angoulême).

On connaît l’esthétique de Wes Anderson, d’une précision chirurgicale, inventive, fourmillante, gaguesque, bédéesque, toujours un peu sépia. De ce point de vue, The French Dispatch est brillantissime. D’un luxe inouï, en particulier avec sa ribambelle de stars (Tilda Swinton, Bill Murray, Benicio del Torro, Frances McDormand, Adrien Brody, Willem Dafoe… n’en jetez plus !), qui parfois n’apparaissent que l’espace d’un plan. Au début, l’ordonnancement aussi rigoureux qu’étourdissant impressionne. Puis la machine devient système, n’existant plus que par elle-même. Contrairement à The Grand Budapest Hotel (2014), auquel on peut songer, inspiré par Stefan Zweig et où planait le parfum de la fin d’un monde, The French Dispatch ne considère ni le journalisme ni la France des années 1960, qui ne sont que des prétextes. Il y est question d’art – sujet toujours sensible au cinéma. La représentation qu’en donne Anderson est sans relief. L’humour est là, mais chichement. En somme, The French Dispatch n’a rien d’autre à proposer que sa forme : la définition même du formalisme. Vous avez dit « Ennui-sur-blasé » ?

Je passe vite sur Un héros, d’Asghar Farhadi. Après le naufrage de Everybody Knows (2018), tourné en Espagne avec Penelope Cruz et Javier Bardem, et le médiocre Le Client (2016), réalisé en France, le cinéaste iranien est retourné dans son pays pour filmer l’histoire suivante : un détenu lors d’une permission choisit de rendre un sac retrouvé sur la chaussée alors qu’il contient l’argent dont il a besoin pour sa libération. Il passe d’abord pour un héros avant de redevenir un réprouvé. Film très appliqué, au scénario envahissant et explicatif, Asghar Farhadi, depuis le succès d’Une Séparation (2011), est à mes yeux un cinéaste surcoté.

Et j’en viens à Titane, de Julia Ducournau, la réalisatrice du très remarqué Grave (2016), son premier long métrage. Le « choc » du festival, n’a-t-on cessé d’écrire avant même de l’avoir vu. Il serait intéressant de faire une analyse linguistique des termes qui reviennent en boucle sous la plume de ses sectateurs – car ici, il y a ceux qui adorent et ceux qui rejettent, pas d’entre-deux. « Body horror frenchie », « déconstruit le male gaze », « tunning organique », « exploration extrême de l’identité queer et de la virilité », « genderfuck cyborgien »… (citations prises sur Twitter). Le décodeur est de mise, en même temps qu’un certain conformisme d’époque. Par définition, le film de genre est hyper référencé (Cronenberg, Carpenter), ce qui n’est pas un défaut. Titane est-il à prendre littéralement et dans tous les sens, comme disait quelqu’un qui s’y connaissait en matière de transgression sur le corps ? Je pense à certains auteurs de la Noire chez Gallimard, qui n’avaient de cesse de vouloir passer dans la Blanche. A priori premier degré, viscéral, le film appelle la théorie cousue de fil blanc, la quincaillerie sociologico-esthétique pour aller plus loin que son statut initial. Il y concentre pourtant pas mal de naïvetés ou de vieilleries. Comme l’essentialisation du regard, en l’occurrence masculin, ou une vision à peu près gidienne de la famille.

Parfois à la limite du regardable (c’est le jeu du gore), le film est inécoutable : le pompiérisme de la B.O., insupportablement ringarde, est peut-être un hommage à Vincent Lindon qui y joue le rôle d’un commandant sapeur-pompier.

C’est bientôt, le feu d’artifice ?

The French Dispatch, Wes Anderson, 1h47. En salle le 27 octobre.

Un Héros, Asghar Farhadi, 2h07. En salle le 22 décembre.

Titane, Julia Ducournau, 1h48. En salle actuellement.

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Musique
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