« Darlan, le troisième homme de Vichy » : Sinistre méconnu

Dans Darlan, le troisième homme de Vichy, Jérôme Prieur retrace le parcours d’un collaborateur en chef.

Christophe Kantcheff  • 6 octobre 2021 abonné·es
« Darlan, le troisième homme de Vichy » : Sinistre méconnu
© ECPAD

Et si l’amiral Darlan avait été le pire des collaborateurs ? Il n’est pourtant pas le plus connu des chefs du régime de Vichy. Au box-office des notoriétés moisies, Pétain et Laval, qui a précédé Darlan puis lui a succédé, le devancent haut la main. Le film réalisé par Jérôme Prieur, grand connaisseur de cette période à laquelle il a consacré plusieurs documentaires, met en lumière son rôle déterminant dans la faillite politique et morale sous l’Occupation. Assassiné à Alger le 24 décembre 1942, François Darlan a échappé à l’épuration et au tribunal de l’histoire. Une chance pour la mémoire de ce « troisième homme de Vichy », dont le film s’emploie au contraire à rappeler les terribles responsabilités. Œuvre utile.

Darlan, le troisième homme de Vichy, Jérôme Prieur, 1 h 10. Histoire TV, les 15 octobre à 20 h 50, 16 octobre à 8 heures, 22 octobre à 23 h 10.
Pour ce faire, Jérôme Prieur s’appuie sur les connaissances d’historiens (Isabelle Davion, Laurent Joly, Bernard Costagliola, Marc-Olivier Baruch, Bénédicte Vergez-Chaignon…) qu’il a filmés dans les chambres d’hôtels de Vichy, dont l’improbable papier peint semble être resté le même depuis quatre-vingts ans. Ainsi que sur des documents, certains connus – le discours du maréchal dit du « vent mauvais » –, et des images ou des enregistrements de Darlan, qui ne brille pas particulièrement par son charisme.

L’amiral était cependant doté d’un certain statut car il commandait depuis 1937 la marine de guerre – la seule arme qui n’a pas été défaite, aimait-il à répéter. Il est nommé ministre de la Marine dans le premier gouvernement Laval. Son grand jour vient quand celui-ci est congédié : il le remplace en février 1941, jusqu’en avril 1942. Accaparant une grande partie des pouvoirs (« il est ministre de tout », résume l’un des historiens), Darlan met à son service une équipe de jeunes technocrates avant la lettre, n’ayant pas connu le premier conflit mondial et n’entretenant donc pas de germanophobie particulière, auxquels vont s’adjoindre des personnages plus politiques, convaincus de la nécessité de la collaboration : Pucheu ou Benoist-Méchin.

Le vice-président du Conseil crée ce qui va devenir le Commissariat général aux questions juives et édicte de nouvelles lois discriminatoires, notamment le recensement et la spoliation. « Darlan n’a pas de problèmes de conscience », constate Laurent Joly, qui explique : « Si on avait voulu sauver les juifs français, on se serait dispensé de les persécuter de façon systématique. La rafle en zone sud de l’été 1942 s’est appuyée sur les fichiers de recensement de 1941. »

Le film montre le glissement qu’opère la collaboration, de l’économie au terrain militaire. Darlan va très loin quand il signe les « protocoles de Paris » – refusés par les nazis –, dont l’un des volets envisageait l’entrée en guerre de la France contre l’Angleterre et les États-Unis. C’est sur ce point que l’amiral bat un record de zèle collaborationniste. Un des actes les plus graves de Vichy aura ainsi été accompli par un personnage plutôt falot et avant tout opportuniste – en tant que commandant en chef des forces de Vichy, il se mettra sans honte du côté des Américains lorsqu’ils débarqueront en Afrique du Nord le 8 novembre 1942. Darlan, ou la trahison au carré.

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