Écrivains, artistes, militants, citoyens… Le climat et moi

Avec la crise climatique, chacun·e a son histoire. Elles et ils nous la racontent.

Politis  • 27 octobre 2021 abonné·es
Écrivains, artistes, militants, citoyens… Le climat et moi
Jean-Jacques, 59 ans, apiculteur dans le Gers depuis nvingt-six ans n
© Maxime Reynié

Dominique Bourg

philosophe spécialiste des questions environnementales

Je suis le sujet du climat depuis plus de trente ans et ce n’est pas facile de garder le moral. Au milieu des années 1990, après le premier rapport du Giec, j’ai lu un vieux numéro de Science et Vie, de mai 1959, avec un article abordant déjà les dangers du réchauffement climatique mais disant en substance : ne vous inquiétez pas, d’ici à l’an 2000, nous réglerons le climat de la Terre avec un simple thermostat. Je me souviens aussi du rapport « Nous n’avons qu’une Terre », rendu par Barbara Ward, économiste, et René Dubos, biologiste, à l’occasion de la conférence de Stockholm sur l’environnement, en 1972. Même chose : on avait conscience de la problématique du réchauffement climatique, mais la solution, c’était le nucléaire. De nouveau, la technologie allait nous sauver. Or, aujourd’hui, nos dirigeants continuent de le penser.

Dans les années 2010, on a compris que la présence du carbone dans l’atmosphère était sans commune mesure avec la durée théorique d’une molécule de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour moi, c’était la prise de conscience d’une véritable bascule de notre civilisation. J’ai longtemps évolué avec les connaissances mais, aujourd’hui, j’évolue avec la réalité, les sens. J’ai adapté ma façon de vivre : je vis dans un petit appartement, je ne prends pas l’avion et je mange moins de viande. Mais tout ce que je peux faire à titre personnel est très léger.

Il faut cesser avec cette histoire de 1,5 °C : en réalité, on a déjà consommé 87 % du budget carbone pour ce seuil et on va exploser le seuil des 2 °C. On nous a toujours vendu de fausses informations. Quand on nous dit que le carbone augmente de 60 % (1990-2016) dans le monde mais baisse en Europe de 27,6 %, c’est d’une hypocrisie sans nom ! Ce n’est pas une diminution mais une migration ! On fait produire ailleurs ce qu’on continue de consommer chez nous : c’est tout ! L’empreinte est la même. Et la COP 26 ne changera rien : on va continuer à produire plus. L’augmentation des émissions est déjà sur les rails, avertit l’ONU. Tant qu’on ne comprendra pas que baisser nos émissions, c’est obligatoirement décroître, on n’y arrivera pas. La croissance est devenue elle-même destructrice. Et la technologie, si elle peut nous aider, ne nous sauvera pas.

J’en veux beaucoup au Giec, qui, pendant trente ans, a communiqué sur des moyennes de température et une échéance à la fin du siècle, qui rend aux yeux des gens la réalité du dérèglement climatique lointaine et impalpable, abstraite, alors que c’est là, et que les conséquences sont violentes. Cette communication a contribué à faire en sorte que le climat n’ait pas été considéré comme un sujet prioritaire.

Notre manque de réaction nous montre à quel point nous sommes irrationnels. C’est paradoxal pour une civilisation qui prétend être fondamentalement ancrée dans la raison. Nous sommes en réalité dotés d’une rationalité mécaniste fondée sur des connaissances partielles, qui nous donnent cependant un pouvoir de détruire et une arrogance terribles. Nous sommes comme possédés par cet état de fait. Par le passé, on ne croyait pas ce qu’on savait, disait Jean-Pierre Dupuy, aujourd’hui on ne croit pas ce que l’on sent. Ce que l’on voit. C’est l’échec d’une civilisation.

Marion Cazaux

27 ans

Mon choix de ne pas avoir d’enfant est très ancien, il date de ma propre enfance. Les raisons sont devenues plus éclairées avec l’âge : politique, sociale, mais aussi écologique. Je crois que l’un des déclencheurs a été les invitations aux « baby showers » de plusieurs de mes amies de collège et lycée, qui annonçaient fièrement leur grossesse. Cela m’angoisse profondément pour leurs enfants. Qu’auront-ils/elles après nous ? Je ne me verrais pas ajouter un humain de plus à cette planète. Déjà parce que chaque personne a un coût énergétique fort. Mais aussi parce que je ne voudrais pas lui laisser un avenir précaire, sous le stress constant de la crise climatique, pendant que les gouvernements continuent de mettre en avant les « gestes quotidiens » au lieu de prendre des décisions contre les entreprises les plus polluantes. Pour moi, c’est un geste militant, mais aussi de compassion. Mettre des enfants au monde pour les envoyer tout droit vers un enfer capitaliste et pollué ne me remplira jamais de joie.

Marie Desplechin

écrivaine

Quand j’étais petite, René Dumont parlait déjà des problèmes d’environnement. Le réchauffement climatique est devenu de plus en plus clair pour moi dans les années 2000, quand les informations étaient déjà précises.

Lors de la COP 21, la Maison des écrivains a demandé des textes à des écrivains. J’ai décidé d’en écrire un à destination des enfants. Du coup, je me suis documentée, j’ai lu Naomi Klein, Jeremy Rifkin, Pablo Servigne… Et je me suis demandé comment en parler aux générations qui arrivent. Ensuite, j’ai publié un livre qui s’intitule Ne change jamais. Je me suis inspirée d’une gamine qui était chez moi un jour où je jetais l’emballage de chaussures que je venais d’acheter, à savoir le sac, la boîte et le papier de soie. Elle m’a dit : « Ne jette pas ça ! Je vais en faire quelque chose ! » J’ai trouvé ça génial et je me suis dit : « Pourvu qu’elle ne change pas ! »

En fait, les enfants sont proactifs. Quand j’interviens dans des classes de collège sur le climat, ils inventent tout de suite quelque chose : un tract, une pétition… C’est à l’adolescence qu’ils entrent dans le consumérisme.

Il faut faire attention à ne pas être catastrophiste. Au contraire, on peut se dire que tout est à réinventer. La perspective peut être excitante. On se place ainsi dans une logique d’action. C’est pourquoi, par exemple, j’ai décidé de ne plus prendre l’avion. On me dit qu’à mon niveau cela ne sert à rien. Peu importe. Cela me structure.

Certains pensent que c’est aux gouvernements de régler les problèmes : une telle idée revient à se défausser de sa responsabilité civile et politique. Mais les actes individuels ne peuvent suffire. Les pouvoirs politiques et économiques ont une énorme responsabilité. Il faut demander des comptes à tous ceux qui ont des leviers, et aussi se regarder soi-même. Cela dit, je suis sensible à la relation faite entre fin du monde et fin de mois. On ne peut pas demander aux gens d’être vertueux écologiquement s’ils sont aux prises avec la précarité sociale.

L’action des gouvernements est nulle. Ils sont aveugles et agissent à très court terme. On peut toujours passer des accords internationaux. Organiser une COP 26, pourquoi pas ? Mais je me dis qu’il faudra, hélas, que des millions de personnes blanches meurent pour que les choses bougent. Les décideurs sont émus quand des gens qui leur ressemblent sont affectés.

Il me semble que la génération des trentenaires ayant des enfants en bas âge vote davantage en faveur d’écologistes. Si une gauche écologiste arrivait au pouvoir, tous les problèmes planétaires ne seraient pas résolus, mais elle mettrait un sacré bordel ! Ce qu’il y a à déconstruire est considérable puisque tout est construit sur le capitalisme, le gâchis, la consommation…

Ces changements sont de nature révolutionnaire. J’aimerais que ce soit facile, que ça ne coûte pas très cher, que tout se passe tranquillement… Si nous n’acceptons pas aujourd’hui des changements douloureux et brutaux, ce qui va se passer sera cent fois plus douloureux et brutal.

Flozelle

28 ans, militante aux Soulèvements de la Terre et à Extinction Rebellion

Je suis en colère contre nous en tant que société. J’ai fait des études en science politique et je me suis spécialisée dans la gouvernance environnementale.

Je suis passée par une phase quasi dépressive, d’anxiété, que j’ai réussi à dépasser. Mais je ne suis pas optimiste pour autant : j’ai accepté cette défaite. Je continue à me battre quand même, car je ne peux pas me dire que je me suis assise sur mes fesses en regardant tout brûler. Au moins, j’aurai essayé.

Je ne trouvais plus forcément mon compte en faisant des happenings devant des ministères à Paris… J’avais envie d’aller défendre un endroit, une terre, un lieu, contre des projets très concrets. Avec les Soulèvements de la Terre, on agit en collectif, on apporte du soutien à des luttes locales, comme les mégabassines près du Marais poitevin. On n’est pas dupes, on sait que ces mégaprojets profitent souvent aux mêmes personnes.

Le problème est systémique. Je n’attends rien du tout de la COP 26. Les objectifs que se donnent les pays lors des COP sont basés sur de la bonne volonté, il n’y a aucune mesure coercitive, aucune sanction. C’est comme les bonnes résolutions de fin d’année que personne ne tient.

Sandy Olivar Calvo

militante à Alternatiba

L’année 2018 a été déterminante dans mon engagement. J’avais 23 ans, je commençais un stage dans la publicité, tout en sachant que je ne serais pas épanouie en suivant cette voie. Un jour, je suis entrée dans cette agence de publicité et j’ai vu les tas de journaux étalés à l’entrée qui parlaient tous du dernier rapport du Giec. Cette année-là, il y a eu les marches pour le climat, les mobilisations des jeunes, les gilets jaunes, mais aussi tous les événements extrêmes qui nous montraient les impacts du changement climatique… Je me suis dit qu’il n’y aurait jamais de bon moment pour m’engager dans cette lutte, qu’il fallait y aller maintenant ! Je me suis lancée dans le bénévolat et j’ai rejoint Alternatiba. Et ce n’était pas rien, car le chemin professionnel que je m’apprêtais à suivre impliquait la fin des galères d’argent connues pendant mes études, la fin des jobs étudiants…

J’ai grandi dans l’Oise, dans un milieu modeste, et je pense que cela a forgé chez moi un rapport particulier aux institutions, aux oppressions sociales. Cela m’a toujours paru logique de lier l’écologie et le social, car c’est une lutte systémique. Les campagnes et les quartiers populaires seront les premiers territoires à vivre les conséquences des changements climatiques.

Les marches ont été importantes dans ma politisation car elles symbolisent une reprise de pouvoir dans l’espace public, et les slogans remettent souvent en cause le système. Lorsque j’ai participé aux décrochages de portraits d’Emmanuel Macron, j’ai senti quelque chose de très physique dans le fait d’agir, de se mettre en danger avec le risque d’un procès… Je me suis alors posé des questions vitales : jusqu’où suis-je prête à aller pour faire bouger les choses ? Jusqu’à quel point l’urgence climatique me tétanise-t-elle ? J’en ai conclu que la construction d’une société plus sobre, plus écologique et plus juste méritait que je dépasse ces barrières. Avant de m’engager, je souffrais d’écoanxiété. En devenant activiste, j’ai ressenti de la joie grâce au collectif, de l’espoir grâce au passage à l’action. Aujourd’hui, la colère prend de plus en plus de place à cause de l’inaction politique, de ce système destructeur qui persiste. Mais, finalement, ces trois sentiments antinomiques sont mes moteurs pour continuer.

Jean-Jacques

59 ans, apiculteur dans le Gers depuis vingt-six ans

Le Gers de mon enfance ne ressemble pas à celui d’aujourd’hui : les haies, les arbres ont été arrachés, la biodiversité a disparu. Dans l’apiculture, on a subi le changement climatique. Les hivers sont de plus en plus doux, les printemps de plus en plus précoces et, au moment des floraisons, on est affecté par les coups de gel tardifs. Pour le rendement, on voit la différence aussi : cette année a été catastrophique jusqu’à fin juillet. Le climat est devenu haché. Lors des canicules, les abeilles dépensent énormément d’énergie pour maintenir la température à l’intérieur de la ruche. Mon rôle d’apiculteur est désormais de trouver des solutions, mais c’est compliqué à gérer, surtout quand ça dure dix jours et qu’on se retrouve avec 45 °C, voire 50 °C en plein soleil. J’essaye d’isoler les ruches pour les protéger en choisissant des emplacements moins exposés. Je suis obligé de transhumer de plus en plus et de plus en plus loin, donc je roule et pollue davantage… Par exemple, pour les châtaigniers, je suis obligé d’aller jusqu’en Dordogne. Même s’il y a de plus en plus de bio, la plupart des agriculteurs utilisent toujours plus de pesticides, d’intrants, d’engrais… Dans quel état seront les cultures et la végétation dans trente ans ?

Rone

compositeur de musique électronique

Ma prise de conscience de l’urgence climatique est assez récente et a été progressive. Il y a environ quatre ans, j’ai pris une claque en entendant les discours de l’astrophysicien Aurélien Barrau et du biologiste Gilles Bœuf. Je passais des nuits à regarder des vidéos de ces spécialistes du climat. Quand j’ai eu des enfants – ils ont 8 et 6 ans –, je me suis un peu plus préoccupé du monde qui m’entoure et je me suis posé une question cruciale : que puis-je faire afin que mes enfants ne me reprochent pas mon inaction et l’état de la planète ?

En tant qu’artiste, je me sens souvent impuissant, mais j’essaye désormais de réfléchir aux impacts de chacune de mes décisions et de mes créations. En 2020, le Théâtre du Châtelet, à Paris, m’a offert une carte blanche. J’ai senti une grosse responsabilité sur mes épaules, et que je devais mettre plus de sens dans cette création, ne pas juste faire danser les gens. Je ne suis ni écrivain ni chansonnier, alors comment diffuser mon message sans les mots ? J’ai collaboré avec le collectif (La)Horde, une troupe de danse habituée à monter des projets engagés, pour créer Room with a View. Cela reste de la musique instrumentale, mais les titres sont évocateurs : « Crapaud doré » fait référence à un animal qui a disparu à cause du réchauffement de la planète, « Nouveau Monde » diffuse les mots d’Aurélien Barrau et d’Alain Damasio sur la permaculture, la décroissance, la nécessité de nouveaux imaginaires… C’était un travail passionnant et délicat pour éviter les clichés, le greenwashing, le côté moralisateur. Notre objectif était d’inciter le public à réfléchir, à se questionner, et de lui donner de l’espoir pour lutter. Nous avons voulu rendre la révolution sexy.

J’ai rejoint le mouvement anglo-saxon Music Declares Emergency, qui incite les artistes à pratiquer leur profession de façon plus éthique. Par exemple, je réfléchis davantage aux dates de la tournée afin que ce soit plus logique et que je prenne surtout le train. La musique électronique implique souvent une surconsommation de lumières, de matériel. La scénographie de mon nouveau spectacle est modulable, elle se déplie et tient dans trois valises qu’on peut porter à la main, alors qu’avant mon décor nécessitait un énorme camion… J’ai conscience de faire partie du problème, mais j’essaye de remettre en cause ma façon de travailler. Finalement, trouver des alternatives pousse aussi à la créativité.

Éloi Laurent

membre des Économistes atterrés

L’urgence climatique révèle que nos systèmes économiques sont devenus insoutenables : ils travaillent à leur propre perte. Ils sont également devenus irrationnels. Il n’y a aucune logique économique à saper les fondements écosystémiques du bien-être humain. Notre incapacité à changer de fond en comble ces systèmes irrationnels tient à l’illusion de la croissance économique. Elle est censée être la clé de la solution alors qu’elle est le cœur du problème. Il faut donc sortir de cette illusion de toute urgence.

Le climat est un bien public mondial : une tonne de CO2 émise à Paris, Pékin ou Delhi a rigoureusement le même effet physique sur le dérèglement du climat. Donc, tant que vous n’avez pas autour de la table les vingt pays responsables de 80 % des émissions, les négociations climatiques demeurent sans effet. Par ailleurs, 100 % des pays de la planète sont touchés par l’impact de la crise climatique, avec une cinquantaine de pays particulièrement vulnérables. Le cadre mondial est donc non seulement pertinent, mais indispensable. La vraie question est la nature de la conversation climatique mondiale. À cet égard, le seul sujet qui compte vraiment est la justice climatique : comment allouer le budget carbone restant entre pays et au sein des pays, comment aider les pays et les groupes sociaux les plus vulnérables à s’adapter à un monde annoncé à +1,5 °C dès 2030. La COP 26 doit avancer sur la justice climatique ou elle ne servira à rien.

Le capitalisme actuellement dominant – extractiviste, croissanciste et inégalitaire – détruit la biosphère et le bien-être humain, il n’y a aucun doute là-dessus. Il est donc fondamentalement destructeur de nos ressources. Sortir de la croissance pour aller vers une économie du bien-être revient à sortir de la forme la plus toxique et nocive du capitalisme dans toute son histoire.

Propos recueillis par Vanina Delmas, Daphné Deschamps, Christophe Kantcheff, Maxime Reynié, Nadia Sweeny

Écologie
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