Anasse Kazib, petit candidat, grandes ambitions

Formé hors des cadres politiciens traditionnels, ce cheminot a acquis en quelques années une expérience militante hors du commun, et un succès d’estime au sein de la gauche radicale et dans les quartiers populaires.

Daphné Deschamps  • 3 novembre 2021 abonné·es
Anasse Kazib, petit candidat, grandes ambitions
Anasse Kazib dans une manifestation contre la réforme des retraites, le 24 janvier 2020 à Paris.
© Edouard Richard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Difficile de rater les membres de Révolution permanente. En manifestation, dans des assemblées générales, dans des syndicats, sur des piquets de grève, et même dans la rue quand on s’approche d’un de leurs événements : ils sont toujours au moins une quinzaine, munis de tracts et de stickers, brandissant souvent des drapeaux et chantant des slogans. Le premier meeting public pour la candidature d’Anasse Kazib à l’élection présidentielle, le 20 octobre, n’a pas fait exception. « On est là » (gilets jaunes), « Pas de justice, pas de paix » (comités vérité et justice), « Les jeunes dans la galère et les vieux dans la misère… » (organisations syndicales). Révolution permanente ratisse large et s’implique dans toutes les luttes.

L’organisation est d’ailleurs connue de la plupart des activistes, que ce soit sous son ancien nom, le CCR (Courant communiste révolutionnaire, une tendance du NPA) ou sous sa nouvelle appellation. Elle s’est armée d’un média qui porte son discours et revendique des militants dans de nombreux syndicats, notamment à SUD-Rail, mais aussi dans l’agroalimentaire, l’industrie ou les milieux étudiants. « Le CCR, tu les tolères ou tu les subis », raconte un syndicaliste étudiant. « Ils ont été très présents dans ma fac et ils ont des pratiques qui peuvent déranger, avec une habitude d’essayer de tout contrôler, d’imposer systématiquement leur ligne, de parasiter les discussions en s’organisant à l’avance… »

Révolution permanente a quitté le NPA au printemps dernier, officiellement pour cause de divergences autour de l’élection présidentielle, mais aussi, selon les militants, parce que « ça faisait des années que la tendance majoritaire du NPA nous excluait et refusait de débattre avec nous ». Selon un texte publié fin avril sur le site du Nouveau Parti anticapitaliste, la « précandidature » à la présidentielle d’Anasse Kazib a constitué « de facto une rupture avec les principes du NPA, son fonctionnement et ses modalités de prise de décision ». Cette figure publique de Révolution permanente a annoncé sa candidature sur son compte Twitter personnel, avant de la confirmer par un communiqué de presse. Or la décision était censée se prendre en interne, avant d’être rendue publique en juin. Branle-bas de combat au sein du NPA, et voilà le CCR-Révolution permanente quittant finalement le parti pour se lancer en solo, avec Kazib en chef de file.

« Quelqu’un de normal »

Anasse Kazib n’a pas la dégaine habituelle des candidats à la présidentielle. Taille moyenne, vêtements confortables, cheveux courts, visage rond et grand sourire, il serre la main à certains, claque la paume à d’autres, salue tout le monde. Il parle fort et a un rire communicatif. Quand il arrive dans la salle du treizième arrondissement de Paris où se tient son meeting, il est immédiatement comme un poisson dans l’eau. Pas de service d’ordre en costume, pas de porte de service, il entre par l’avant, demande en riant s’il doit présenter son passe sanitaire et prend son temps avant d’aller s’installer sur la scène.

« Anasse parle à beaucoup de gens parce qu’il a les mêmes problèmes que nous, c’est un ouvrier. »

Ce cheminot de 34 ans, aiguilleur et syndicaliste SUD-Rail dans le nord de Paris, « même pas politisé depuis dix ans », indique-t-il, a commencé à travailler à 20 ans à la SNCF, après deux ans d’études d’architecture. La SNCF, c’est une histoire de famille : son père, d’origine marocaine, fait partie des chibanis de l’entreprise ferroviaire, ces travailleurs contractuels qui ont été discriminés en raison de leur pays d’origine. Un long procès, qui a duré plus de dix ans pour certains, leur a donné raison en 2018, et le père d’Anasse Kazib, comme les 847 autres plaignants, a vu le préjudice porté à sa carrière reconnu par l’entreprise.

Kazib fils entre donc à la SNCF deux ans après son bac, obtenu à Sarcelles, ville où il est né. Les années passent et, en 2014, il adhère à SUD-Rail « à la suite d’une forme de répression patronale » liée à des protestations autour d’un examen. Son syndicat lui apporte son soutien et Anasse Kazib « voit la force du syndicalisme face au patronat ». Il se syndique, s’implique petit à petit et finit, en 2015, par devenir le premier élu SUD-Rail de son secteur, Le Bourget. « J’ai rencontré les camarades de Révolution permanente après Nuit debout, en 2016. Je ne savais pas qui étaient Marx, Lénine ou Trotski ; tout ce qui a l’air gauchiste, ça me faisait peur. Mais la loi El Khomri m’a politisé, parce que je ne comprenais pas qu’un gouvernement de gauche puisse porter ça, et je ne comprenais pas que les directions syndicales puissent trahir comme ça. »

Poussé par ses rencontres du CCR, il lit Trotski et entre au NPA. Il s’investit, recrute sur son lieu de travail et même dans sa famille. « Il a lu un livre dont il parle tout le temps, Où va la France ?, de Trotski, qui parle de la période de 1934 à 1936 », raconte son cousin Yassine, chauffeur de bus à Malakoff et syndicaliste lui aussi, recruté par Kazib au moment des grèves de 2019. « Anasse parle à beaucoup de gens parce que c’est quelqu’un de normal, il a les mêmes problèmes que nous, c’est un ouvrier. Quand un politicien veut se faire passer pour un ouvrier, ça se voit tout de suite. Mais lui, c’est différent. »

Pendant les grèves, Kazib devient un intervenant régulier des « Grandes Gueules » sur RMC, puis de « Touche pas à mon poste » sur C8. À chaque fois, il est présenté comme un cheminot syndicaliste, pas comme un militant du NPA. Et son franc-parler le rend populaire, surtout chez les ouvriers. « Anasse, c’est fou, tout le monde le connaît, s’enthousiasme Rozenn Kevel, militante de Révolution permanente, étudiante et ancienne gréviste Chronodrive. Quand il arrive sur un piquet de grève, on lui parle de ses passages à la télé, des gilets jaunes, de tous les mouvements sociaux récents, parce qu’il a soutenu tous les mouvements, ces dernières années. » Un engagement et une présence médiatique qui ne plaisent pas à tout le monde : Anasse Kazib subit depuis plusieurs années un harcèlement de la fachosphère à cause de ses sorties antiracistes et anticapitalistes, de ses origines marocaines et de ses ambitions politiques.

« Ça ne fait pas plaisir, surtout quand les menaces touchent aussi ma famille, soupire l’intéressé. Mais bon… Ça montre surtout qu’on fait peur à l’extrême droite, parce qu’on porte un projet de société radical, à l’opposé du leur. Et ce sont nos principaux ennemis, donc c’est tant mieux qu’ils aient peur de nous. » Régulièrement, des hashtags comme #AnasseKazibRemigration font partie des plus utilisés sur les réseaux sociaux, et les polémiques stériles à son encontre se multiplient. Dernière en date, l’absence de drapeaux français au meeting du 20 octobre. Le plus surprenant reste l’insistance de ces attaques contre un candidat encore loin d’avoir récolté les 500 signatures d’élus nécessaires à la course à l’Élysée…

Propositions concrètes

Pour ce premier meeting public, la salle était comble de 350 militants survoltés, et la tribune à l’image du mouvement : un ouvrier raffineur, une gréviste de Transdev, mais aussi Assa Traoré, venue soutenir « un des premiers soutiens du comité Adama », ou Sasha Yaropolskaya, réfugiée politique russe et fondatrice du média transféministe XY Media. Et évidemment une membre du Poing levé, l’antenne étudiante de Révolution permanente. Car si ce petit parti revendique son ancrage ouvrier et une bonne présence dans les syndicats de l’industrie, ce qui fait une de ses forces, ce sont ses militants issus des universités, où les partis politiques n’ont pas le droit de s’implanter.

Dans la tradition trotskiste, le CCR a tenté de s’investir dans les syndicats étudiants locaux, comme Solidaires étudiant·e·s, sans grand succès. Alors l’organisation a lancé Le Poing levé, qui est de plus en plus présent dans les facs. En parallèle, le collectif féministe Du pain et des roses, lui aussi émanation de Révolution permanente, couvre les questions féministes et LGBTI. Les militants d’une organisation se retrouvent souvent dans l’autre, et avec Révolution permanente – le média –, Révolution permanente – le parti – couvre presque tous les terrains.

Il n’a pas encore d’antenne consacrée à l’antiracisme, mais ses liens profonds avec de nombreux comités vérité et justice, à commencer par le Comité Adama, assurent cette présence. À entendre les militants et les soutiens, ce n’est pas un activisme de façade : « Anasse a été aux côtés du Comité Adama dès le début », assure Assa Traoré à la tribune du meeting, avant de faire monter sur scène des membres d’autres comités, qui attestent la même chose. Un engagement qui fait gagner des points à Kazib dans les quartiers populaires. Il assume une position radicale, notamment sur le rôle de la police, qui plaît à beaucoup de jeunes et est relativement inédite.

Le seul concurrent sur ce terrain, pour le moment, c’est Philippe Poutou, ce qui n’est guère surprenant : les programmes des deux candidats sont très proches. Poutou tenait d’ailleurs un meeting parisien le lendemain de celui de Kazib, avec beaucoup de similarités : mêmes thèmes (climat, crise économique, situation des jeunes, antiracisme, antifascisme, -anticapitalisme, etc.), -grévistes des mêmes entreprises (Transdev, évocation de Bergams et Onet), mêmes slogans… Seul le public diffère légèrement : davantage de jeunes chez Kazib, plus de monde (et de journalistes) chez Poutou. Les idées défendues sont similaires : défendre l’anticapitalisme tout en formulant des propositions concrètes pour répondre à des situations d’urgence. « Par exemple, on est anti-impérialistes et on milite pour la fin de l’impérialisme français, explique Kazib. Mais se contenter de dire ça, c’est vague. Pour nous, concrètement, ça veut dire s’appuyer sur la situation au Mali ou au Mozambique, et demander un retrait immédiat des troupes françaises qui sont en intervention militaire sur place. » Il en est convaincu, tenir des positions ultra-radicales tout en suggérant des solutions, c’est la seule ligne politique défendable.

« Starification »

À la question « mais pourquoi Anasse Kazib ? », les militants de Révolution permanente ont tous la même réponse, les mêmes mots, à la base de toute la communication du parti : « C’est un ouvrier racisé, jeune, marxiste », récite Nathan. « Il est révolutionnaire, il parle aux travailleurs, à la jeunesse et aux quartiers populaires », selon Rozenn, qui reprend les termes exacts de l’affiche projetée derrière la tribune lors du meeting. « La candidature de Révolution permanente est centrée autour de l’identité de son candidat plutôt que sur ce qu’il a à proposer, critique un militant du NPA. Elle reprend tout notre programme, mais en mettant en avant un individu plutôt que le collectif, ce qui va contre les valeurs du NPA, et c’est pour ça qu’ils sont partis. C’est logique et c’est dans l’air du temps, mais c’est une starification qui peut vider un programme de sa substance. »

Quant à savoir s’il s’agit d’une candidature symbolique, la réponse est difficile à obtenir. « C’est un moyen de faire entendre la voix de ceux qu’on n’entend jamais à la présidentielle, résume Anasse Kazib. Après, c’est sûr qu’on est loin d’y être. Mais on progresse. Et proposer une nouvelle option face à la droite et à l’extrême droite, c’est forcément positif. »

Pour le moment, les militants de Révolution permanente sillonnent la France en voiture pour récolter des parrainages. « On vient de passer la barre des 100 signatures ! », a fièrement annoncé le candidat lors de son meeting. Il a passé la semaine en Normandie, pour convaincre des maires de le soutenir. Et si jamais il n’atteint pas les 500 avant la date fatidique du 4 mars 2022, dernière limite pour présenter ses soutiens ? « Pour le moment, on s’accroche ! C’est une éventualité à envisager, mais la décision se prendra en collectif le moment venu. Si on soutient quelqu’un, ça sera un ou une candidat·e d’extrême gauche, et il n’y en a pas beaucoup… » En attendant, Anasse Kazib et Révolution permanente sont loin de lâcher l’affaire et continuent à appeler aux dons pour aller chercher toujours plus de parrainages.

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