Géographies poétiques

Quatre grands albums parcourent le monde. Quand la réalité nous émerveille et nous touche.

Marion Dumand  • 5 janvier 2022 abonné·es
Géographies poétiques
© rue du monde

L e jeu est la porte d’entrée des enfants vers la créativité, tant manuelle qu’intellectuelle, écrit l’artiste barcelonaise Regina Giménez. Mon propre travail s’inspire également de ces idées autour du jeu, de l’expérimentation et de la découverte : les couleurs et les formes interagissent les unes avec les autres. » Jeux et atlas anciens se trouvent au cœur de sa peinture et animent Le Grand Atlas géo-graphique, son magnifique « livre jeunesse ». Livre jeunesse avec des guillemets : Le Grand Atlas géo-graphique fait partie de ces livres que toutes et tous peuvent dévorer, peu importe leur âge, et qui nous poussent à regretter que la connaissance et la créativité à l’attention des adultes s’éloignent souvent du jeu et de l’expérimentation. De l’émerveillement.

Éblouissement, savoir et engagement, les éditions Rue du monde connaissent bien, particulièrement dans leur approche sensible de la géographie. Édité en 2012, enrichi en 2018, Cartes. Voyage parmi mille curiosités et merveilles du monde est ainsi devenu un classique. Cette année, trois grands livres, tant par la beauté que par le format, nous invitent à regarder ensemble notre monde, avec une curiosité vive et sans niaiserie.

« Moi, si je pouvais redessiner le monde, je le ferais à taille d’enfant, j’élèverais les arbres très haut, très grand, rien que pour y grimper, y voir loin », semble nous chanter un môme en pagne bleu, grenouille rouge sur la tête et baobab au loin, peint à même une de ces cartes à la nostalgie graphique évoquant l’immonde colonialisme. Dans Et si on redessinait le monde ?, chacune des illustrations de Nathalie Novi est d’ailleurs comme une victoire éclatante de la vie sur les frontières et l’histoire. L’atlas ancien s’emplit de rires et d’aras, d’une femme assise et d’un oiseau géant, d’un vieux révolutionnaire et de pingouins emmaillotés. Les échelles s’emmêlent les pinceaux, la réalité implose : un coquelicot abrite un ours polaire, un nénuphar dépasse les immeubles du Bronx. Là où les poèmes foutent le bourdon, tant ce monde rêvé dit en creux le nôtre, le plaçant même au cœur de chaque poème, les peintures magiques, elles, réenchantent le monde.

Et quelle belle porte d’entrée dans les merveilles que sont Les Plus Grands Fleuves du monde. Saviez-vous ainsi que le Congo peut être profond de 220 mètres, qu’une partie de sa faune est encore inconnue et qu’il abrite des lamantins de 4 mètres ? Que la Léna, qui traverse la Sibérie, ne compte aucun pont sur 3 000 kilomètres ? Qu’un affluent du Mékong, le Tonlé Sap, change de direction deux fois par an, allant tantôt vers la mer, tantôt vers la terre ?

Si, au premier regard, les doubles pages de chaque fleuve donnent un peu le tournis, on prend vite le pli : d’abord le grand encart qui nous raconte le fleuve, puis les textes courts qui en émaillent le cours et les dessins qui en parsèment les rives. Et on en redemande, de ce foisonnement, dévorant les 18 fleuves, ce qu’ils nous disent de la Terre, de la nature et des hommes. Pour le meilleur et pour le pire. À l’image du Colorado, qui ne se jette plus dans la mer : trop exploité ! Quand l’Amazone est encore « mère et fille de la forêt vierge », avec 40 000 espèces de plantes, 400 de mammifères, 3 000 de poissons et 1 000 d’oiseaux.

À l’opposé esthétique, Le Grand Atlas géo-graphique choisit l’épure et la clarté pour nous exposer cinq grandes clés : l’univers, la Terre, le relief, l’eau et le climat. La peintre utilise les mêmes outils dans ce livre que dans son travail. Les schémas sont d’abord dessinés au crayon à papier, avec règles et compas, puis tout est peint à la main, dans des couleurs passées. Une simple page, coupée en deux par deux gris-verts, l’un clair pour le ciel, l’autre foncé pour la mer, est si dense qu’un léger défaut (infime trace d’ocre) la rehausse. On y visualise ce que l’eau douce représente face à l’eau salée (3 % seulement !) et aussi la couleur des étoiles, le réchauffement climatique, la morphologie des volcans. Les textes sont aussi clairs que les schémas, simples et captivants. Et c’est beau. Et saisissant comme une petite planète sur l’un des quatre bras d’une galaxie, au milieu de milliers de milliards de galaxies.

Aux éditions Rue du monde :

Cartes. Voyage parmi mille curiosités et merveilles du monde, Aleksandra Mizielinska et Daniel Mizielinski, traduit du polonais par Lydia Waleryszak, édition revue et augmentée, 152 pages, 28 euros.

Le Grand Atlas géo-graphique, Regina Giménez, traduit du catalan par Laurana Serres-Giardi, 96 pages, 24,50 euros, à partir de 9 ans.

Et si on redessinait le monde ? Daniel Picouly et Nathalie Novi, 48 pages, 21 euros, à partir de 6 ans.

Les Plus Grands Fleuves du monde, Volker Mehnert et Martin Haake, traduit de l’allemand par Isabelle Enderlin, 48 pages, 24,50 euros, à partir de 9 ans.

Littérature
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