Ce confort qui nous fait du mal

La technologie et le consumérisme nous ont offert une vie sans aspérités qui nous déconnecte de notre environnement, analyse Stefano Boni dans un essai anthropologique vivifiant.

Erwan Manac'h  • 30 mars 2022 abonné·es
Ce confort qui nous fait du mal
© Bettina Mare Images/Cultura Creative/AFP

Notre société va mal, car nous avons confondu confort et bien-être. L’anthropologue italien Stefano Boni, à travers l’essai traduit en français Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, décrypte comment, depuis la fin des années 1950, le confort a pris une place prédominante dans notre modèle de développement. La technique nous a en effet débarrassés de nombreuses contingences. Nous n’éprouvons plus vraiment ni fatigue ni faim, nos pieds foulent un sol lisse en tous lieux et l’imprévu a déserté notre quotidien, comme le sentiment de vulnérabilité.

Ce confort a modifié en profondeur nos relations sociales. Il a provoqué, selon Stefano Boni, « une scission systématique entre les individus, tout comme entre l’humanité et son milieu, en provoquant la destruction de systèmes sociaux, écologiques et économiques ». Son essai souligne la perte des savoir-faire artisanaux et s’attarde sur ce que la « technologisation de l’existence » impose à nos sens. Nous vivons sous l’injonction d’exhiber un corps désirable, synonyme de bien-être, mais le toucher a été mis en sommeil à travers une délimitation des rapports sociaux, comme en témoigne l’évolution des moments de fête : « Les danses populaires pendant lesquelles on s’enlaçait ont été remplacées par des mouvements individuels exécutés à bonne distance les uns des autres », observe notamment l’auteur.

L’anthropologue examine enfin l’idéologie dominante, dont le confort est « une composante essentielle ». Ce « fait social total » offre selon lui « une satisfaction qui nous assujettit » et engendre « l’adhésion sociale massive et inconditionnelle au modèle économique techno-productiviste ». Au point qu’il est devenu difficile de concevoir le confort comme un objet de réflexion et qu’aucun gouvernement ou parti politique ne peut assumer un discours critique sur le consumérisme. Cette consécration n’aboutit pourtant pas au règne du bien-être. Au contraire, « il est possible de vivre confortablement tout en allant très mal ». Les dommages sur l’environnement sont par ailleurs irréparables.

L’analyse fourmille d’exemples. Elle bouscule notre regard et éclaire la question du développement humain d’un jour nouveau, en osant désigner le principal obstacle à l’assainissement de notre mode de vie. Le parti pris peut sembler radical, mais Stefano Boni l’étaye sans caricature ni technophobie excessive, veillant à éviter la moralisation. Il débouche enfin sur une assertion très ouverte : nous devons chercher à exercer un contrôle social sur la technologie et reprendre la main sur les outils de notre recherche collective du bonheur pour enfin choisir nous-mêmes notre direction.

Homo confort. Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes Stefano Boni, traduit de l’italien par Serge Milan, L’Échappée, 234 pages, 19 euros.

Idées
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