L’État, nouveau DRH du capitalisme mondial

La politique néolibérale désole la société, rendant plus probable le totalitarisme.

Mireille Bruyère  • 13 avril 2022
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L’État, nouveau DRH du capitalisme mondial
© Arnaud Le Vu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Il faut se garder de considérer la politique d’Emmanuel Macron comme une politique centriste conciliant la droite et la gauche, exprimée par le fameux « en même temps ». Force est de constater que les différentes politiques d’Emmanuel Macron montrent une cohérence néolibérale. Le néolibéralisme est le régime politique du capitalisme moderne. Sa logique profonde est déterminée par le rapport social de production qui connote toute la société. Tout le monde travaille. Le capitalisme dans sa forme moderne instrumentalise l’État au service du rapport de production en changeant son agenda. L’État devient un technocrate de marché et de moins en moins un État social. Ce nouvel agenda peut bien s’accommoder de fortes dépenses publiques. C’est Hayek avec Keynes. L’alliance de l’État et du capital est ancienne, mais elle est devenue plus cohérente avec un partage des tâches redoutable. L’État de Macron est le DRH français du capitalisme mondial. De quoi mieux comprendre le sens de « France Travail ».

Définissons le rapport social par deux dimensions : l’organisation du travail et la répartition du produit. Historiquement, ces dimensions ont été liées par l’institution salariale et la protection sociale. Toute l’œuvre du néolibéralisme est de délier le plus possible ces deux dimensions, la première gérée par les entreprises et la deuxième par l’État néolibéral. Ainsi, le projet néolibéral ultime serait d’avoir un système national de rémunération minimale dite de consommation pilotée par l’État. Ce système de rémunération orienterait par des incitations et des sanctions financières les comportements vers la norme marchande et la rationalité économique. Les réformes des minima sociaux et de l’assurance chômage, les politiques d’activation des chômeurs et la prise en charge croissante d’une part du salaire (exonération des cotisations, chômage partiel, aide massive à l’apprentissage) vont dans ce sens. En alliant rémunération minimale et contrôle social, il s’agit de fournir une main-d’œuvre pouvant se plier aux bouleversements organisationnels et technologiques dans l’entreprise. Car nous n’oublions pas que le cœur du capitalisme, c’est l’entreprise et son organisation productive, à la recherche d’une puissance infinie et aux dépens du travail vivant et de la nature.

Méthodiquement, le mandat d’Emmanuel Macron a débuté par les ordonnances travail, dont l’objectif est de lever le plus possible les contraintes sociales dans l’organisation et la gestion du travail (affaiblissement des instances de représentation des salariés, de la législation sur la protection de l’emploi, contournement des syndicats majoritaires).

Cette politique néolibérale a conduit à maintenir le pouvoir d’achat, voire à l’augmenter malgré la crise sanitaire, tout en détruisant les moyens pour les salariés de résister à l’aliénation dans le travail. Elle favorise l’épuisement, la solitude, la perte de sens et la poursuite des trajectoires insoutenables d’émissions de gaz à effet de serre. Elle désole la société rendant plus probable le totalitarisme. Nous devons urgemment réarticuler la lutte contre l’entreprise et la propriété privée ainsi que la lutte pour des conditions de vie dignes et sobres.

Par Mireille Bruyère Membre du conseil scientifique d’Attac.

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