Mobilisations étudiantes : « Une situation inédite »

La première semaine de l’entre-deux tours a vu naître des assemblées générales et des tentatives de blocage et d’occupation dans les établissements d’enseignement supérieur. Elles sont notamment portées par le rejet d’une élection « volée » à la jeunesse.

Daphné Deschamps  • 19 avril 2022 abonné·es
Mobilisations étudiantes : « Une situation inédite »
© Les banderoles affichées sur la Sorbonne durant l'occupation du 13 au 14 avril. nnANNA MARGUERITAT / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP

Jean-Philippe Legois est archiviste, président du Conservatoire des mémoires étudiantes et membre du Groupe d’études et de recherche sur les mouvements étudiants.

Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle fut un choc pour la jeunesse, malgré l’annonce depuis des semaines d’un duel Macron-Le Pen quasi certain. Ce choc peut-il être à l’origine d’un mouvement social étudiant ?

Jean-Philippe Legois : Les mouvements étudiants récents sont liés à des réformes, qu’elles soient universitaires ou plus générales comme la loi travail en 2016. Ce qu’on a pu voir ces derniers jours entre la Sorbonne, Paris-8-Saint-Denis, certains Instituts d’études politiques (IEP), l’École normale supérieure, ou les appels à blocage et assemblées générales pour le 19 avril, c’est une mobilisation relativement exceptionnelle, ou en tout cas sans précédent. On pourrait à la rigueur le rapprocher de mouvements qui ont eu lieu après l’élection de Nicolas Sarkozy, ou du choc Jean-Marie Le Pen en 2002. La situation est inédite : ce n’est pas que les étudiants ne s’intéressent pas aux élections en général. Ils ont mené des actions dès 1965 autour de la candidature de François Mitterrand par exemple. Mais une mobilisation de ce type, avec un soutien des différents syndicats étudiants, cela crée un cocktail un peu original qui rend impossible de prédire quoi que ce soit.

Il n’y avait pas eu d’occupation à la Sorbonne depuis le mouvement contre le Contrat première embauche en 2006. D’après des témoignages, personne ne s’attendait à voir autant de monde à l’assemblée générale antifasciste qui a lancé celle de la semaine dernière. Existe-t-il une résurgence de l’antifascisme dans les universités pouvant « réveiller » un mouvement étudiant ?

Il y a toujours eu une présence antifasciste dans les universités, mais ces dernières années étaient plutôt calmes. Le dernier pic d’antifascisme a eu lieu malheureusement avec la mort de Clément Méric en 2013 [militant du syndicat Solidaires Étudiant·es tué par des militants d’extrême droite, NDLR]. À l’extrême droite, la Cocarde étudiante est assez active ces derniers temps. Elle a participé aux déblocages de Sciences Po Paris et Lyon la semaine dernière. Mais du côté antifasciste, il n’existe pas beaucoup de réactions, mis à part des mobilisations contre leur implantation à Nanterre il y a quelques années, et des groupes de quelques dizaines de militants. Le répondant antifasciste au-delà des micro-réseaux militants habituels est une heureuse surprise. Avoir réussi à organiser une assemblée générale d’au moins 500 étudiants en quelques jours montre bien que l’antifascisme trouve un écho chez des étudiants qui n’étaient pas forcément très politisés.

Il n’y a pour le moment pas de mot d’ordre précis défini dans ces mobilisations, à part un « ni Macron ni Le Pen » qui reste vague…

L’idée que l’élection présidentielle a été volée à la jeunesse, ou en tout cas à la jeunesse étudiante, est mise en avant. Et il est vrai que l’on peut se poser la question de savoir si, parmi ceux qui se sont rendus dans ces mouvements et qui n’ont pas tous le même degré de politisation, certains se sont abstenus sans qu’il s’agisse d’une abstention militante, qui peut aussi être revendiquée. La mobilisation semble très composite, tant par celles et ceux qui la composent que par les organisations étudiantes qui la soutiennent. Toutes ont d’ailleurs appelé à la manifestation du 16 avril, y compris la Fage [fédération d’associations étudiantes souvent neutre dans les mouvements sociaux, NDLR] qui se mobilise rarement, même si elle s’était engagée contre la présence de Jean- Marie Le Pen au second tour en 2002. Ces mobilisations étudiantes lancent-elles le « troisième tour social » ? La question principale sera celle du mot d’ordre : maintenant que la manifestation de l’entre-deux tours est passée, quel peut être le socle de la mobilisation ? Le « ni Macron ni Le Pen » a pu rassembler une première fois à la suite du choc du résultat. Via également le besoin de réagir. Mais pour construire un mouvement social, il est nécessaire de le définir afin de l’approfondir.