« Toute une nuit sans savoir », de Payal Kapadia : Jeunesse étouffée

Dans Toute une nuit sans savoir, Payal Kapadia évoque la réalité intime et politique des étudiants en Inde sous le régime populiste de Modi.

Christophe Kantcheff  • 13 avril 2022 abonné·es
« Toute une nuit sans savoir », de Payal Kapadia : Jeunesse étouffée
© Norte Distribution

Au début de Toute une nuit sans savoir, on entend la douce voix d’une jeune femme lisant une lettre adressée à son amoureux. Les images d’une fête apparaissent dans un noir et blanc granuleux, le son atténué, voire inexistant. Il en émane un sentiment fantomatique. Puis il est question d’enfermement, de séparation forcée. Les deux amants n’appartiennent pas à la même caste. Les parents séquestrent leur fils, qui leur a déclaré vouloir épouser la jeune femme.

Toute une nuit sans savoir, Payal Kapadia, 1 h 39.
Ces deux-là sont des étudiants de la principale école de cinéma et de télévision en Inde, le Film and Television Institute of India (FTII). La réalisatrice, Payal Kapadia, dont c’est ici le premier long-métrage, y a suivi ses études. Pendant ces années, avec son acolyte, Ranabir Das, chef opérateur et monteur, elle a enregistré un certain nombre d’images qui constituent une grande part de son matériau visuel. Puis, en ajoutant d’autres images d’autres universités, et en créant ce personnage d’épistolière amoureuse rendue à sa solitude, la cinéaste a tissé le fil de son récit filmique.

Avec Toute une nuit sans savoir, beaucoup de spectateurs français découvriront la situation explosive qu’ont connue les -universités publiques indiennes ces dernières années. En particulier le FTII, où, en 2014, le directeur nommé n’était autre qu’un proche du Premier ministre ultra-droitier et nationaliste Narendra Modi. Les étudiants s’y sont révoltés, comme dans beaucoup d’autres établissements, ce qui a entraîné une féroce répression.

Des plans d’assemblées générales et de manifestations, des scènes d’affrontements entre des policiers d’une violence inouïe face à des étudiants pacifiques, alternent avec des prises de vue dans des lieux vides, désolés. L’obscurité domine, comme si le film perçait la sombre gravité qui habite l’âme mélancolique des étudiants, contrastant avec les slogans en faveur de l’égalité et de la justice.

En décorrélant les images, les musiques et les voix off, la cinéaste insuffle du sensible, du poétique dans ce qui est d’évidence un film politique. Toute une nuit sans savoir – un titre disant si bien l’inquiétude et la fébrilité qui en découle – se situe au point névralgique où l’intime est envahi par les événements extérieurs.

Ce film affirme aussi la voix d’un cinéma indépendant difficile à fabriquer et à diffuser en Inde (il est produit en France), formellement audacieux, politiquement courageux.

Cinéma
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