Mystification à la Toulouse School of Economics

Les grandes entreprises ont besoin de l’onction scientifique de l’école de Toulouse.

Mireille Bruyère  • 1 juin 2022
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Mystification à la Toulouse School of Economics
Jean Tirolen
© REMY GABALDA / AFP

Le temple français de l’économie orthodoxe, la Toulouse School of Economics (TSE), organisait en mai un « sommet du bien commun ». Jean Tirole, récipiendaire du pseudo-prix Nobel d’économie et auteur d’une Économie du bien commun, voulait montrer que toute la TSE concourt à celui-ci. Lors de la session d’ouverture, Christian Gollier, directeur de l’établissement, affichait ce vœu : mettre la « science » économique au service du bien commun et offrir toute sa place à la science. À la TSE, on écoute tout le monde, on veut le consensus, et le meilleur moyen de l’obtenir est de convaincre qu’on est économiquement neutre et rationnel.

Lors de ce sommet, Christian Gollier, Jean Tirole et Philippe Aghion ont défini la feuille de route : augmenter l’âge de la retraite, imposer une taxation carbone à tous (les populations qui y sont hostiles auraient un problème de « perception »), développer le nucléaire et financer l’innovation technologique.

Qui définit le bien commun ? Les « principaux acteurs » de la société civile, répondent ces économistes. Et qui sont-ils ? Les intervenants qui se sont succédé pendant deux jours à la tribune du sommet sont exclusivement des dirigeants de multinationales : ExxonMobil, Orange, Amazon, Transdev, BNP Paribas, Invivo, Axa, Pierre Fabre… Ah bien sûr ! Eux seuls peuvent définir le bien commun puisque ce sont eux qui fabriquent le monde.

Ce sommet a-t-il été l’occasion de débattre réellement avec ces « principaux acteurs » ? Pas du tout ! Le colloque n’a jamais été organisé de manière à donner une place au débat, ni avec les économistes ni avec la salle. Derrière un écran plat de la taille d’un studio d’étudiant où se projettent les visages souriants des « acteurs » et leurs titres professionnels rappelant leur position dominante dans la chaîne de production mondiale, ces dirigeants des grandes entreprises nous expliquent, la main sur le cœur, leur contribution à la transition écologique. Le tout sans aucun contradicteur. On a ainsi appris qu’ExxonMobil était neutre en carbone ou encore qu’Amazon réduit l’empreinte carbone de tout commerce. Cette communication a été colorée par des interventions d’économistes hors sol dont les résultats sont soit triviaux soit complètement spéculatifs.

Heureusement, l’autre société civile s’est invitée. Des militants d’ANV-COP 21 ont fait irruption pour dénoncer la manipulation et le collectif de 150 scientifiques toulousains Atecopol a publié une tribune dénonçant une entreprise de greenwashing dont la TSE se fait la complice. Plus largement, ce sommet montre à quel point la science économique orthodoxe est devenue le discours de l’ordre établi. Les grandes entreprises ont besoin de l’école de Toulouse pour obtenir l’onction scientifique et tenter de cacher les désastres sociaux et écologiques qu’elles provoquent. C’est alors que se révèle toute la duplicité coupable de cette pensée orthodoxe qui n’est pas une science, mais un discours fondé sur le mythe selon lequel la rationalité économique est la norme indépassable. Alors qu’elle construit le désastre en cours.

Par Mireille Bruyère Membre du conseil scientifique d’Attac.

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